L’histoire :
Partis à la recherche de reporters disparus dans la jungle amazonienne, les membres d’une expédition de sauvetage ne retrouvent que leurs bobines de pellicule. Les images sont terribles.
Critique subjective :
Cannibal holocaust. Deux mots pour un titre qui, dans l’inconscient collectif, résonne presque aussi durement que « Massacre à la tronçonneuse ». Une belle dénomination, en tout cas, pour une œuvre nimbée d’une aura malsaine. Objet de légende (tenace réputation de snuff movie) et de procès (son réalisateur jouera les abonnés aux tribunaux italiens), Cannibal holocaust n’est pas un film comme les autres. Pour preuve, il sera, à sa sortie, interdit (dans une soixantaine de pays), mutilé par les ciseaux de la censure ou frappé de visas infamants. Le métrage est aussi une superbe matière à controverse sur laquelle on a beaucoup glosé. Œuvre putassière ? Film horrifique visionnaire ? Sans doute un peu des deux car s’il est un métrage tiraillé entre des aspects contradictoires, c’est bien Cannibal holocaust.
N’en déplaise à certains, Cannibal holocaust est une œuvre qui allie fond signifiant et formalisme novateur. Pellicule enragée née d’un dégoût bien réel (envers la couverture médiatique des actions des brigades rouges), le métrage est une attaque en règle contre le sensationnalisme, le voyeurisme journalistique. A ce propos, on retiendra tout particulièrement le comportement ignoble des reporters débarquant dans le village amazonien (ils sont prêts à tout pour créer l’évènement devant l’objectif de leur caméra) et la réaction initiale d’une productrice sans scrupules (« Le public veut du sensationnel ! Il veut être choqué ! »). Les médias et leur soif malsaine de spectaculaire en prennent pour leur grade. Avec des années d’avance, Deodato nous mettait aussi en garde contre certaines dérives à venir, la « téléréalité » en tête.
De par sa forme même, Cannibal holocaust est aussi une formidable réflexion sur le pouvoir de l’image. Empruntant au film de cannibales (sous-genre dans lequel Deodato s’était déjà illustré), mais surtout aux mondo movies (ces authentiques documentaires sensationnalistes), le réalisateur brouille soigneusement les cartes. S’il y a bien un élément qui a décuplé le côté dérangeant du film, c’est sa forme réaliste, son aspect documentaire (vue subjective, tournage à l’épaule, jeu sur les formats), son côté cinéma vérité. Deodato sème le doute, cultive sciemment l’ambiguïté. Jouant sur le langage cinématographique, il adopte un procédé immersif qui met le spectateur dans une inconfortable position de voyeur. Poisseux, étouffant, le film distille le malaise. A noter que Cannibal holocaust sera aussi le grand pionnier du « found footage » (expression désignant un film de fiction présenté comme un documentaire retrouvé) et se pose comme le lointain précurseur du Projet Blair witch, de [REC] et de Cloverfield.
Cannibal holocaust, c’est aussi une facette plus sombre, moins glorieuse. Équivoque, le film se perd quelque peu dans son exercice de démonstration, se prend à son propre piège. A vouloir dénoncer la violence par la violence, il finit par nous montrer … ce qui est justement censé ne pas l’être. Si, à un niveau diégétique, toutes les pellicules finiront par être brûlées sans être divulguées au grand public, le métrage, lui, nous dévoile largement leur contenu. Deodato fait même durer certaines séquences jusqu’à l’écœurement et semble se complaire à la monstration d’un large catalogue d’atrocités propice à du gore crapoteux. Paradoxal. Autre élément à la charge du film, et non des moindres : le fait que plusieurs animaux aient été réellement tués pour les « besoins » du tournage. Si le procédé n’est pas propre à Cannibal holocaust, il n’en demeure pas moins révoltant et impardonnable. Deodato lui-même le regrettera a posteriori. Les images, elles, demeurent.
Verdict :
Trois décennies après sa sortie, Cannibal holocaust n’a rien perdu de son parfum capiteux. Pour autant que l’on reconnaisse au métrage son importance narrative et formelle, on n’est pas obligé de le porter dans son cœur. Il n’a d’ailleurs sans doute pas été conçu pour ça.