Bertal, directeur de théâtre, homme particulièrement odieux avec ses partenaires de scènes et l’équipe technique, est assassiné dans sa loge avant une représentation de Macbeth. Or, la police découvre petit à petit que le meurtre s’est opéré de la même manière que dans la pièce de Shakespeare…
André Barsacq et Jean Anouilh, étaient des amis de longue date qui partageaient un amour commun du théâtre et du cinéma. De leur association est né un certain nombre d’œuvres, qui sont restés dans l’histoire du cinéma à commencer par « Le Rideau Rouge ». Ce film a l’intelligence de plonger le spectateur dans les coulisses de la conception d’une pièce de théâtre : « Macbeth » dont l’intrigue va subitement se mélanger à celle de la troupe de comédiens qui est destinée à la jouer. En jouant habilement sur le parallèle entre la pièce de théâtre et les rancœurs intestines qui existent entre tous les membres de la troupe, envers le directeur notamment, l’auteur et le réalisateur vont tisser une toile qui va leur permettre de peindre des personnages à la personnalité bien particulière.
Car évidemment, le monde du théâtre et particulièrement celui des comédiens est fait d’egos, souvent surdimensionnés, de personnalités torturées, qui ont besoin d’être aimées et de sentir que la lumière baigne leurs personnes. Et ce monde des planches et du rideau rouge, Jean Anouilh le connaît parfaitement. Il le côtoie, et en fait partie, il le nourrit de ses œuvres et se nourrit également de ses ambiguïtés et de ses paradoxes. Ici de manière surprenante les personnages apparaissent plus fragiles les uns que les autres et se battent pour une reconnaissance qu’ils espèrent à travers cette pièce dont chaque réplique devient une résonance à leur propre existence.
Avec une mise en scène sobre, qui utilise la lumière pour mieux appuyer les regards, les malaises, et une direction d’acteurs qui mélangent habilement l’art du théâtre et celui du cinéma, André Barsacq, donne à l’œuvre de Jean Anouilh, une dimension shakespearienne bienvenue, et qui colle parfaitement à l’intrigue et à ses rebondissements. Outre les comédiens, ce qui est amusant dans « Le Rideau Rouge » c’est que l’auteur et le réalisateur ont décidé de bien marquer la différence entre les personnages liés à la pièce, et les inspecteurs de police qui rentrent dans un monde qu’ils ne connaissent pas. Un monde qui leur est étranger, au point de ne même pas connaître, ni le titre de la pièce, ni son auteur. On pourrait estimer que l’auteur comme le réalisateur a décidé volontairement de rendre ses personnages incultes pour snober les personnes étrangères au théâtre. Mais il n’en est rien puisqu’au final ceux qui apparaissent comme résolument humain sont justement ceux qui ne sont pas du monde des planches.
La distribution est à l’image de la mise en scène et du scénario : elle est impeccable à commencer par Michel Simon (Le vieil homme et l’enfant) qui, comme à son habitude, livre une composition et une prestation remarquable, qui joue en permanence sur la répulsion et la séduction. Face à lui
Noël Roquevert (Cartouche) signe une prestation tout en gestes et en exubérance, propre au théâtre shakespearien et aux grandes tragédies, qui font entrer son personnage dans la galerie des grands acteurs torturés et égocentriques du cinéma. Et puis face à lui, le grand
Pierre Brasseur (Les enfants du paradis) impose un charisme impressionnant qui l’amène à porter tous les regards sur lui dès lors qu’il est à l’image.
En conclusion « Le Rideau Rouge » est une œuvre majeure dans la collaboration entre André Barsacq et Jean Anouilh, qui signe un film sur les dessous du théâtre, et notamment sur la rivalité qui peut exister entre les comédiens, les metteurs en scène et forcément les directeurs de théâtre. Le film est une remarquable revisite du mythe de Macbeth qu’il utilise pour mieux signer la dérive de ses comédiens.