Si la nouvelle adaptation de «It» par le jeune réalisateur Argentin Andrés Muschietti s'avère être un véritable succès au box-office (avec plus de 695 millions de dollars à travers le monde à l'heure actuelle) -et semble faire mentir la tenace malédiction d'adaptation impossible des romans de Stephen King- on ne peut pas dire que la sortie (juste quelques mois avant) de cette «Tour Sombre» ait joui du même succès et de la même réputation. Au contraire.
Semblant perpétuer cette impossibilité de transposer au cinéma les (4000) pages de Stephen King, le film du réalisateur Danois Nikolaj Arcel se devait, à son tour, de passer par un development hell.
Ayant vendu, en février 2007, les droits d'adaptation du cycle de sa «Tour Sombre» (pour la modique somme symbolique de 19 dollars) aux cocréateurs de la série «Lost» pour voir, comme d'autres de ces écrits, celui-ci éventuellement adapté en un projet télévisé, dont le tournage du premier des sept (télé)films devait débuter en 2010, Stephen King devra se rendre compte que même J.J. Abrams abandonne un tel projet (pour produire un reboot spatial et une nouvelle série: «Fringe»): trop ambitieux, long et complexe, sortant tout juste de la franchise «Mission: Impossible» qu'il a maintenu à flot avec un troisième opus pour première expérience cinématographique.
Réalisateur à la fois commercial et oscarisé, qu'on sait capable d'adapter des best-sellers (avec le succès au box-office du «Da Vinci Code» de Dan Brow, 86 millions d'exemplaires de vendus à travers le monde et près de 760 millions de dollars au box-office), l'ex enfant-star de la télévision américaine Ron Howard vient remplacer notre pucelle effrayée, approché, en septembre 2010, par NBC et Universal Pictures, désireux de mettre en chantier une trilogie de films (ainsi qu'une série télévisée spin-off basée sur cet univers), après avoir acquis les droits des romans, mais aussi de la nouvelle «Les Petites Soeurs d'Eluria» (prequel dans laquelle Roland recherche la piste de Walter) et des comics de Jae Lee et Richard Isanove.
S'appuyant sur un scénario d'Akiva Goldsman (scénariste oscarisé en 2001 à ses cotés pour «Un Homme d'exception»), le flamboyant réalisateur de la trilogie cinématographique Langdon se voyait déjà réaliser le premier film (prévu pour le 17 mai 2013) et la première saison de la série dérivée (avant de voir un deuxième film -flashback sur la jeunesse du protagoniste Roland, une deuxième saison, un troisième film et finalement une ou plusieurs saisons conclure cette mercantile et commerciale aventure -un peu comme le MCU de la Maison aux Idées avec ses films «Avengers», série «Agents of SHIELD» et cie). Mais, le 18 juillet 2011, Ron Meyer, directeur de la major, annonce, à son tour, que ce projet trop risqué d'un point de vue financier doit cesser... et renvoie chez eux les stars susceptibles d'incarner Roland de Gilead (de Hugh «Wolverine» Jackman à Daniel «007» Craig en passant par Viggo «Aragorn» Mortensen ou Javier Bardem), ainsi que Naomie Harris (envisagée pour le rôle de Susannah Dean, cette Afro-Américaine handicapée schizophrène qui accompagne Roland et son mari Eddie) ou la jeune star de «Breaking Bad» Aaaron Paul (contacté par Howard pour le rôle d'Eddie Dean, junkie new-yorkais propulsé dans l'Entre-Deux-Mondes pour aider le héros).
Pourtant, Ron Howard et Brian Grazer (fidèle scénariste du réalisateur depuis son second film, «Les Croques-Morts en folie» en 1982) ne désespèrent pas de mener ce complexe projet ambitieux à terme... et se lancent dans la recherche d'un nouveau financement: la chaine payante du groupe Time Warner (fort intéressée par l'idée que Russel «Maximus» Crowe incarne Roland), HBO, qui diffusait «True Blood» et «Carnivale», pouvant, dans les fantasmes de nombreux fans, être intéressée par la partie télévisée ce celui-ci. Mais, encore une fois, et même avec toute la bonne volonté et l'envie, réalisateur, producteurs et soutiens se retirent de cette adaptation en août 2012.
Il ne reste plus à espérer que le studio de production indépendant Media Rights Capital (connu pour des films aussi différents que «30 Minutes Maximum» avec Columbia ou «Ted» avec Universal) n'abandonne pas le navire en péril... jusqu'à avril 2015, date à laquelle ce studio s'associe avec la major Sony (Picture Entertainment), en quête d'une nouvelle franchise de films à exploiter -après les multiples «Spider-Man» et hommes en noir de «MIB»: le scénariste Akiva Goldsman (toujours associé au projet), aidé de Jeff Pinkner (producteur et scénariste des séries Bad Robot mais aussi de la sequel Sony «The Amazing Spider-Man 2»), s'attelant à une nouvelle version du scénario pour un premier film... que va réécrire le réalisateur et scénariste Danois Nikolaj Arcel appelé désormais sur le projet, en compagnie de son compatriote et ami Anders-Thomas Jensen, scénariste multi-récompensé et connu pour avoir vu son nom associé au polémique «Antichrist» de Lars von Trier, en annonçant y combiner des éléments des trois premiers livres du cycle-quand le père de ce cycle jupitérien de son propre système solaire imaginé, Stephen King, laisse entendre que ce film serait autant une suite qu'une adaptation. Sic!
Mais, alors, qu'est-ce que ça donne ?
Qu'ont réussi à sauver tous ces réalisateurs, scénaristes et producteurs qui se sont suivis et ont enchaîné les déconvenues -comme dans nombre d'adaptations de romans de Stephen King grommelleront ou ironiseront certains ?
Jake Chambers, orphelin d'un père dont il a du mal à se remettre de la tragique disparition, et hanté par des visions d'un éternel combat entre un mystérieux Pistolero et un sombre Homme en Noir ainsi que le destin d'une méconnue Tour Sombre qu'il retranscrit à chaque réveil sur papier, pourrait bien découvrir que ces dessins ne sont pas que les hallucinations obsédantes d'un adolescent en mal de sommeil mais bel et bien la prophétique bataille du Bien contre le Mal. Et que lui, pourrait être une clef importante et capitale dans cet affrontement final !
Et ce résumé du film de sûrement faire hurler et bondir plus d'un défenseur du temple royal qu'est ce monumental cycle littéraire qui permet de lier tous les romans de Stephen King («Shining», «Ca», «Christine», etc, etc) en un seul univers (le Kingverse ?) dans lequel se côtoient finalement des univers parallèles, puisque ce n'est plus la reconnue figure héroïque du Pistolero, Roland de Gilead, qui est ici mis en avant mais celle de Jake Chambers, cet adolescent perturbé qui va se retrouver propulser de New-York dans cet étrange Entre-Deux-Mondes.
Alors, oui, vous pourrez crier au scandale, de même que vous avez pianoté partout sur la toile que ce film était nul, sous le fallacieux argument d'une fidélité encore une fois mise à mal et violée et bafouée.. mais, comme le dit le Maitre lui-même (dans l'un des modules proposés en bonus), il n'a toujours fait qu'une chose: amuser les gens, nous distraire et divertir en nous permettant de nous évader dans d'autres mondes que celui dans lequel nous sommes enfermés. Et ce film, à son image, dans cette optique, réussi très bien ce pari... d'évasion, de divertissement. Et d'adaptation.
Comme il l'ajoute dans l'une de ces interviews, les scénaristes ont eu la bonne idée, pour présenter ce chef d'oeuvre trop difficile à raconter en lui restant strictement fidèle, et réussir à y amener de nouveaux spectateurs qui n'ont jamais lu tous ça, de commencer par le milieu... en utilisant l'élément principal de l'action qui est que tous les enfants possédants des pouvoirs digne Daniel Torrance (héroïque enfant de «Shining, l'enfant lumière», adapté plusieurs fois sur vos écrans) ou Carrie White (adaptée également à plusieurs reprises) sont réunis dans ce Devar-Toi de l'Homme en Noir.
Blasphème inconcevable pour ceux qui ne veulent qu'une chose -un respect méticuleux de chaque ligne (comme à chaque adaptation de livres de chevets, avez-vous déjà lu: «Harry Potter», «Twilight», «Le Seigneur des Anneaux»...)- et pourraient encore une fois hurler à l'hérésie, habile et intelligent stratagème qui ne ne fait que confirmer ce qui a été évoqué plus haut: ce film peut être à la fois une adaptation comme une suite, mais est surtout une re-lecture, une lecture différente de l'oeuvre originale. Et c'est, on le sait, ce qui déplait dans nombres d'adaptations.
Pourtant, et quitte à en choquer plus d'un, en s'éloignant et trahissant (car « adapter c’est trahir » comme le savent plus d'un scénariste) ainsi le matériau d'origine et la trame principale, qui a passionné pendant plus de quarante ans ces millions de lecteurs, le film de Nikolaj Arcel parvient à devenir pleinement lisible. Et ce même bien plus que cet énorme pavé de romans à raccorder les uns aux autres. Surtout pour de néophytes spectateurs qui ne se sont jamais attardés sur la soixantaine de romans qui composent la bibliographie de cet auteur (que trop ?) prolifique.
Usant du stratagème scénaristique assez facile d'un nouvel élément (ici la figure adolescente de Jake Chambers qui va, tout en apprenant à se découvrir et chercher à retrouver une figure paternelle protectrice et constructrice, suivre un chemin initiatique des plus classiques... avec les lourdes responsabilités qui incombent, comme chez un autre héros Sony, à celui ayant de grands pouvoirs), le scénariste à succès (sept prix récompensant différents films) Danois Nikolaj Arcel (sans oublier les autres), déjà responsable de la réussie série TV adaptant le triptyque «Millénium» de Stieg Larsson mais aussi des adaptations plus contestées des «Enquêtes du Département V» de Jussi Adler-Olsen (celui-ci ayant rapidement mis fin à sa collaboration avec la société productrice, suite à un désaccord avec le réalisateur Mikkel Nørgaard et son scénariste Nikolaj Arcel sur leur niveau de transposition du bourru vieil Inspecteur Carl Mørck et de son mystérieux assistant Assad, dès le premier film, «Miséricorde»), rattrape donc là le ratage de son précédent (triple) travail. Ou presque. Selon votre tolérance.
Si certains lecteurs-téléspectateurs se voudront toujours plus minutieux que les réalisateurs, scénaristes et même auteurs originaux vendant à qui bon leur semble leurs droits, et aimeraient et fantasmeront toujours de voir leurs films mentaux être projetés sur grand écran, il ne faudra pas oublier que, oui, cette fois le scénariste a été adoubé/anobli par (le) King lui-même : qui reconnaît en cette version une bonne façon d'approcher l'histoire et même très classique, décidant lui-même en script-doctor de faire avancer ou reculer certaines choses pour construire cet objet défini entre adaptation et suite cinématographique.
Ces mêmes lecteurs ayant enflammé, dès mars 2016, la toile (bar de quartier préféré des h8terz), car désavouant le choix d'Idris Elba (devant faire oublier ses pâles prestations dans de récents blockbusters allant d'adaptations de comics aux reboots et remakes) en Dernier Pistolero: l'acteur Britannique (aux origines africaines: Ghana et Sierra Leone) ne correspond pas à sa description dans les romans (ou sous les crayons magnifiques du dessinateur Jae Lee)!
Des lecteurs se voulant «plus royalistes que le King» et refusant, encore une fois, a contrario de lui (signe largement positif après des années d'adaptations bordéliques à la limite du n'importe nawak voire de la zéderie alimentant en locations hebdomadaires les rayonnages des vidéo-clubs) de se féliciter de ce choix: car Noir ou Blanc, pour Stephen King, ce personnage reste toujours le personnage, proche du Clint Eastwood du «Le Bon, la Brute et le Truand» de Sergio Leone qui lui a inspiré ce petit projet... qui deviendra titanesque. Une vision et comparaison contemporaines toutes personnelles dont je vous laisserai seuls juges...
Malgré cette haute trahison et d'autres, plus ou moins choquantes, selon votre niveau de connaissance et d'acceptation des romans (refonte chronologique de la trame, absence du couple Dean -le ka-mai Eddie, ancien héroïnomane venu de la Terre-Clef comme Jake, et son épouse schizophrène Susannah- qui pourrait apparaître dans une potentielle suite, ou que l'Homme en Noir -magnifiquement incarné par le vil séducteur et séduisant Matthew McConaughey, qui semble s'amuser et s'éclater, éclipsant Idris Elba, investi dans ce rôle de méchant- ne soit pas le fidèle Randall Flagg, apparitions maléfiques de nombreux romans), ou parce que le scénario a su intelligemment couper dans des pages et des pages et réduire et sélectionner plusieurs tomes d'une oeuvre lourde à digérer, non sans garder de nombreux «easter eggs» références au foisonnant univers sur papier chers aux passionnés lecteurs, cette «Tour Sombre» de Nikolaj Arcel sait préserver ldes éléments essentiels de l'oeuvre fantastique de l'écrivain le plus célèbre du Maine: l'enfance (et ici le re-construction d'un pré-adolescent d'onze ans qu'un deuil plonge dans une certaine solitude et enferme dans son propre monde) et la confrontation entre le Bien et le Mal! La morale est sauve.
Maintenant, en ce qui concerne, la réalisation du primé réalisateur de «Royal Affair» (film historique et dramatique, succès public et international de 2012), ce premier film hollywoodien -qui flirte à la fois avec les films post-apocalyptique, western et fantastique- ne faisant que concrétiser les rêves et confirmer l'envie d'un enfant -ayant découvert le cinéma avec des films comme «Star Wars» et «E.T.»- de se lancer à corps et à cris dans ce monde de fantaisie et de divertissement, oscille, malheureusement, entre de superbes moments et du déjà-vu, sans saveurs et loin d'être novateur.
Sans chercher à imaginer où auraient pu emmener cette adaptation des filmmakers hollywoodiens comme Abrams ou Howard, cette version débute magnifiquement bien (très bonne idée de commencer ainsi le récit, mise en place rapide, flashbacks constructifs) pour se faire un peu plus académique voire peu innovante, donc.
Le duel final entre un cow-boy et ce magicien pompant allégrement «Matrix», abusant trop de ces ralentis plus que d'effets bullet time que tous les réalisateurs semblent vouloir citer pour décrire des échanges de balles désormais.
Mais, tout cela gâche à peine le plaisir de se plonger dans cette aventure.
Jouissant d'un «modeste» budget de 60 millions de dollars (quasiment le double du «Ca» d'Andres Muschietti), en comparaison des budgets bien supérieurs des grosses machineries hollywoodiennes inondant ponctuellement nos écrans, cette «Tour Sombre» d'Arcel reste un honnête film fantastique de bonne facture... qui avait de quoi faire concurrence à ces énièmes sequels de sagas trainant sur des générations lors de sa sortie estivale en salles.
C'était sans compter sur des campagnes négatives de gardiens du temple se disant fans.
A vous désormais de vous faire une idée...
Jake, pion dans la relation tendue entre sa veuve de mère, Laurie, et ce beau-père, Lon, Jake, soi-disant pion dans le mortel et éternel jeu de chat et de la souris entre notre Dernier Pistolero plus si héroïque que ça (rongé par un esprit vindicatif bien loin de ces principes que lui ont inculqué et légué les siens, détruit par les derniers meurtres de son sombre adversaire) et le Mal qu'incarne cet Homme en Noir (qui affirme que ce puissant enfant n'est venu à lui que pour assouvir son funeste destin et accomplir les terribles projets destructeurs de cet Homme), Jake, déchiré entre ces deux mondes, cette Terre-Clef, que nous connaissons tous pour y vivre notre quotidien dépourvu de fantastique et le rechercher ailleurs, et cet Entre-Deux-Mondes, qui n'est pas vraiment le nôtre mais qui y ressemble avec les vestiges d'un passé culturel et fantasmagorique et dans lequel l'héroïsme et la croyance subsistent dans le coeur des hommes, Jake, en quête d'une famille ressuscitée et du retour d'un père qui lui manque que trop, saura vous entrainer dans ce très beau récit initiatique... et forcément fantastique, qui mérite largement une seconde chance désormais disponible à la vente depuis ce 13 décembre 2017.