L’histoire :
Takumi est un jeune livreur de tofu discret. Son passe-temps : dévaler à toute vitesse les routes du Mont Akina à bord de son bolide de livraison AE86. Lorsqu’il bat avec une facilité déconcertante un pilote chevronné. Des défis de professionnels et d’amateurs surdoués du drift lui sont lancés. Il va devoir se confronter à leurs talents et les vaincre pour s’affirmer comme le meilleur conducteur de la ville…
Critique artistique (Laurent Berry) :
Initial D (Kashiramoji D en japonais) est un film dont l’histoire se déroule dans l’univers des courses automobiles clandestines dites de Drift pour D, un style de conduite qui se pratique sur des petites routes à l’écart des grands axes et implique une maîtrise du dérapage. Avant d’être un film, il s’agit surtout d’un manga éponyme créé par le mangaka Shuichi Shigeno et dont la parution a débuté en 1996. Ce manga original a été adapté à maintes reprises en animé et fait partie des nombreuses séries sportives que l’on trouve parmi les animés japonais. On compte une série de quatre saisons (First Stage en 26 épisodes (1998), Second Stage en 13 épisodes (1999), 4 th stage en 24 épisodes (2004) et 4 th Stage Special ~Goes To Project D~ en 24 épisodes (2004). Il existe aussi un OAV en deux parties (Extra Stage, 2000) centrées sur les personnages de Mako et Saiyuki et un film (Third Stage, 2001) auxquels il faut rajouter des jeux vidéo. Initial D est un énorme succès japonais qui est considéré comme un trésor national ce qui explique pourquoi l’équipe hongkongaise a eu autant de mal a obtenir les droits d’adaptation du manga.
De manière assez inattendue, l’équipe du film est hongkongaise, mais l’histoire se déroule au Japon avec une distribution mixte, mais à dominante chinoise. À la réalisation on retrouve le duo composé par Andrew Lau et Alan Mak qui avait signé Legend of Speed (1999), un autre film moins abouti et baignant dans l’univers des courses automobiles. Andrew Lau (en collaboration avec son complice Alan Mak) a surtout à son actif la très réussie trilogie des Infernal Affairs (2002-2003) précédée d’un important travail sur la série des Young and Dangerous et des réalisations à grand spectacle comme A man call a hero (1999). Le réalisateur a plusieurs cordes à son arc puisqu’il était déjà chef opérateur sur As Tears Go By (1988) le premier film de Wong Kar-wai. Le rappeur Jay Chou l’interprète de Takumi et le rôle principal est Taïwanais, tandis que Anne Suzuki (Returner (2002), Steamboy (2004)), une jeune actrice japonaise incarne Natsuki, sa petite copine dans le film dont le personnage est postsynchronisé en cantonais, ce qui n’est pas vraiment idéal et gâche un peu son jeu. Le reste de la distribution est essentiellement masculine et cantonaise. On retrouve d’ailleurs plusieurs acteurs très connus dont Anthony Wong Chau-Sang (The mission, Infernal Affairs) dans le rôle de Bunta (pour lequel il a reçu le Hong Kong du Film Awards du meilleur second rôle masculin), le père de Takumi, Edison Chen (Infernal Affairs III) incarnant Ryousuke Takahashi, Chapman To dans le rôle d’Itsuki Tachibana, Kenny Bee dans celui d’Yuuichi Tachibana, Shawn Yue ou Jordan Chan (A Man Called Hero (1999), Killer (2005),Men Suddenly in Black 2 (2006)).
Si Initial D raconte l’histoire et l’ascension de Takumi, un jeune coureur automobile âgé de 18 et extrêmement doué (il a commencé à livrer du tofu et à conduire dès l’âge de 13 ans en se levant à 4 h du matin), il s’agit aussi d’un manga Shônen très technique et détaillé sur l’univers de la course, son jargon et la mécanique. Les amateurs de grosses cylindrées, de customisation en tout genre apprécient sans doute cet aspect du manga qui a la particularité de proposer un graphisme plus travaillé pour tout ce qui concerne les voitures tandis que les personnages par exemple sont un peu moins fouillés. On retrouve donc naturellement dans le film des vues en coupe du moteur des voitures et des commentaires très pointues sur la technique du Drift. Cette rigueur est nécessaire à l’histoire, car elle la crédite de beaucoup de réalisme et entretient le travail de progression du héros conformément au genre shônen. De plus il faut que Takumi qui est très terre-à-terre au début de l’histoire se mette progressivement à dépasser le seul plaisir de conduire pour s’intéresser également à la mécanique qui permet à sa AE86 d’être aussi performante. À côté, son ami Itsuki, réel passionné (mais pas vraiment doué), cherche à tout prix à se payer une Hachi-roku, autrement dit une Toyota Corolla GT dite AE86 Trueno ou Levin, modèles équipés d’un moteur 4AG encore mythiques au Japon, et ainsi participer aux courses sur les routes de montagne. Dans l’animé on voit d’ailleurs qu’il finit par se payer sa voiture, mais qu’il se fait avoir en achetant une AE85, modèle moins puissant que le l’AE86 de Takumi.
Il y a une opposition évidente entre Takumi qui semble étonné par tout ce qui arrive tandis que Riosuke, un de ses rivaux est plus intellectuel et calculateur, préparant ses courses avec son ordinateur et à grand renfort d’analyses et de théories. Afin de se dégager de l’histoire originale et pour les besoins de l’adaptation, les réalisateurs ont aussi voulu marquer une autre opposition entre le couple père-fils constitué par Itsuki et son père, le propriétaire de la station essence et le couple équivalent formé par Takumi et son père. Le personnage d’Itsuki incarné par Chapman To a par ailleurs été adapté afin de rendre sa dimension humoristique plus humaine et construite par rapport au manga ou l’animé où il est très maladroit et a des réactions assez excessives. Il est souvent à l’origine de certaines des courses auxquelles Takumi est tenu de participer à cause de sa tendance à tenir des propos provocateurs ou à laisser penser qu’il tient un rôle central dans la jeune carrière de coureur de Takumi. Hormis sa galerie de portrait et l’univers des courses de drift, on peut attribuer une partie du succès du manga Initial D à une subtilité de son intrigue, superposant l’histoire d’amour entre Takumi et Natsuki à l’univers technique des courses automobiles. Si Takumi excelle au volant de sa AE86, sa vie n’est pas aussi lisse que sa conduite à commencer par son père qui le bat à coups de ceinture quand il a trop bu pour oublier la mort de sa femme. Lors d’une scène qui se déroule sur une plage, Takumi qui est en compagnie de Natsuki a d’ailleurs honte de se mettre torse nu, car il veut éviter de montrer les bleus occasionnés par son père. On découvre par ailleurs que Natsuki entretient une relation ambiguë et intéressée avec un homme plus âgé alors qu’elle semble follement amoureuse de Takumi. Le film ne révèle pas complètement les tenants et les aboutissants de cette histoire ce qui laisse penser qu’Initial D pourrait être prolongé par un autre film.
Un avis « 15 ans après » (Simon Volant) :
Découvrir le film chinois « Initial D » en 2023 était une excitation et une crainte. Serait-ce un bon moment ou la découverte d’un film qui a mal vieilli. Le premier choc c’est un film qui se passe au Japon, mais avec des acteurs essentiellement chinois et qui parlent en cantonais ! Certains sont même doublés. Mais on rentre toujours bien dans le film. C’est grâce à des personnages bien senti et plein de petits détails qui donnent un peu plus de profondeur que l’on pouvait penser. Le film prend son temps. On est loin de l’excitation qui permettent d’un Fast'n’Furious. Il est drôle, tendre, émouvant aussi. Toute une palette d’émotions est présente.
Il est tourné essentiellement de nuit pour les courses. La réalisation est d’un excellent niveau avec des vues typiques des jeux vidéo où la caméra suit la voiture comme si elle était fixée. On voit régulièrement ce genre d’image, aujourd’hui, grâce aux caméras 360°, mais à l’époque, il a fallu souder un pied et user de trucages numériques pour le masquer ! L’aspect un peu bizarre, c’est aussi les plaques d’immatriculation qui sont floutées dès qu’une voiture roule. Ce n’est pas un choix artistique, mais un aspect légal dans certains pays asiatiques. Sinon, et cette fois c’est artistique, on sent un grand travail sur les ambiances, les atmosphères et la réalisation et le montage des scènes mêmes les plus anodines.
Verdict :
L’adaptation du manga Initial D est sûrement attendue par les fans du manga et de l’animé bien qu’il s’agit d’une adaptation qui bien que proche de l’histoire originale a du faire des concessions. Le format du manga ou de l’animé permet de faire évoluer progressivement les personnages avec lesquels on a évolué au fil de l’aventure et des épreuves ce qui est moins évident avec un film. On a donc un concentré du manga et moins de ces événements qui créent une certaine tension. Cependant, on se laisse porter par une histoire somme toute assez dynamique et qui est servie par un incroyable travail de cadrage et de prise de vue parfois très acrobatique qu’Andrew Lau et Alan Mak maîtrisent à la perfection.
En 2023, le film se laisse toujours aussi bien voir et offre une belle adaptation qui reste accessible aux fans comme à ceux qui n’ont vu d’Initial D que les couvertures des manga dans les rayonnages.