Décrit comme un cinéaste radical, réalisant des films métaphysiques dans un noir et blanc charbonneux à l’instar de son chef-d’œuvre « Sátántangó », Béla Tarr débute sa carrière en 1977 en s’inscrivant dans la veine documentaire du réalisme social de « l’école de Budapest ». Disponibles pour la première fois en Blu-ray™ dans leur restauration 2K et 4K, les 4 films témoignent de l’incroyable trajet parcouru par ce cinéaste visionnaire, de la colère des premières œuvres (Le Nid familial, L’Outsider) aux fables magistrales et mélancoliques que sont Damnation et Les Harmonies Werckmeister. Ces dernières marquent le tournant de la révolution stylistique que Béla Tarr poursuivra tout au long de sa filmographie.
Les 4 films :
Blu-ray 1 : « Nid Familial » (1977) : Pendant que son mari Laci est parti faire son service militaire, Irén s’est installée avec sa petite fille Krisztike dans l’appartement exigu des beaux-parents. Elle doit quotidiennement subir les remontrances du chef de famille qui l’accuse de tous les maux. Lorsque Laci revient de l’armée, elle se met à la recherche d’un appartement mais essuie refus sur refus. La cohabitation devient de plus en plus dure et le couple commence à battre de l’aile...
« L’Oustider » (1980) : Dans une petite ville industrielle au cœur de la Hongrie, András échoue à nouer toute relation humaine et sociale stable. Son penchant pour l’alcool lui a fait perdre son poste d’infirmier dans un asile psychiatrique et, depuis, le jeune homme enchaîne les petits boulots. Côté sentimental, András n’est pas plus chanceux. Son seul véritable compagnon est un violon, dont la maîtrise lui vaut le surnom de Beethoven...
Blu-ray 2 : « Damnation » (1987) : Karrer vit, depuis des années, coupé du monde. Il passe ses journées à errer dans la ville désœuvrée, sous la pluie battante, et à observer ses habitants. Le soir venu, il se rend au Titanik Bar où se produit une séduisante chanteuse avec laquelle il entretient une liaison. Lorsque le tenancier du bar, Willarsky, lui propose de convoyer de la drogue afin de gagner un peu d’argent, Karrer lui suggère à la place d’employer le mari de la chanteuse. Il compte profiter de l’absence de ce dernier pour passer un peu de temps auprès de sa maîtresse...
Blu-ray 3 : « Les Harmonies Werckmeister » (2000) : Le pays est en proie au désordre, des gangs errent dans la capitale. Valushka, un postier, s'extasie sur le miracle de la création et se bat contre l'obscurantisme. Dans un café, il tente d'entraîner les clients ivres dans ses visions cosmologiques, puis, à travers la ville, chez Monsieur Eszter, un vieil homme occupé à accorder un piano pour retrouver l'harmonie du clavecin qui a été brisée par l'invention Werckmeister. Un mystérieux cirque est installé sur la grande place où la foule muette se rassemble. Valushka court sous un ciel de plomb, le vent souffle, on est en novembre et c'est déjà l'hiver, le brouillard se répand, plus épais que jamais, la lumière est glacée, brutale, irréelle, les rues couvertes de détritus, les immeubles délabrés, des vitrines ont été brisées ; plus de médecins, plus d'écoles, l'heure du Jugement dernier serait-elle arrivée ?
Lorsque l’on parle de films qui ont marqué le cinéma, on pense évidemment au cinéma américain et particulièrement à Orson Wells qui aura su rendre le cinéma inventif, audacieux et rigoureusement palpitant, à l’instar de son « Citizen Kane », on pense aussi, dans un style plus populaire à Walt Disney et son obsession de l’innovation qui a fait rentrer l’animation dans la sphère très fermée du grand écran en 1937. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, c’est en Europe que les innovations se sont fait les plus remarquablement audacieuses avec des cinéastes comme Abel Gance (La Roue), Ingmar Bergman (le Septième sceau), Friedrich Wilhelm Murnau (Nosferatu (1922)) ou Rainer Werner Fassbinder (Despair (1978)). Sans oublier pour autant le cinéma Italien et ses grandes œuvres passant des maitres du genre : Passolini, Fellini, etc… Et puis moins connu mais tout aussi fondateur, au point d’être souvent repris par de grands cinéastes américains, il y a le cinéma d’Europe de l’Est, Russe bien sûr avec des réalisateurs tels que Sergueï Eisenstein (Le Cuirassée Potemkine (1926)) ou encore Mikhaïl Kalatozov (Quand passent les cigognes (1958)). Ces trente dernières années c’est le cinéma Hongrois qui nous a donné des œuvres surprenantes, soignées à l’extrême, avec pour unique ambition que de nous transporter dans leurs histoires sans nous lâcher après le générique de fin. On se souvient, bien sûr du « fils de Saul » de Laszlo Nemes en 2015 qui nous avait hanté longtemps après sa projection. Pour autant, la Hongrie n’en n’était pas à son coup d’essai, car un autre compatriote de Nemes s’était fait remarquer avec des œuvres qui repoussaient chaque fois le principe de Narration.
Avec un cinéma d’une radicalité rare, mais qui cherche surtout à raconter des histoires, mais à s’émanciper de la narration linéaire classique, qui force le réalisateur et son scénario a tout apporter sur un plateau au spectateur, Bela Tarr, dès son premier film, nous plonge dans une cellule familiale bruyante, bouillonnante de non-dits, vibrante d’un chaos, qui ne peut qu’emmener ses membres vers de l’incompréhension, et parfois même de l’horreur. Entre conflit de génération, rancœur et lassitude tout y est pour que les amours se fissurent. Et le réalisateur de filmer cela dans un brouhaha presque naturaliste, aux portes du documentaire. Le film Suivant : « L’outsider », suivra le même chemin à travers un jeune homme que l’échec isole et que la colère envahit. Comme une fable sur une société Hongroise sous emprise Soviétique qui ne trouve plu sa filiation et commence à voir craquer le vernis du rêve Communiste.
C’est avec « Damnation », que le réalisateur va commencer à devenir un peu plus mélancolique et s’imprégner du cinéma Allemand d’avant-guerre, avec un Noir et Blanc oppressant et une œuvre sombre, mais qui dont la poésie transpire à chaque plan d’une histoire d’amour et de trahison qui mêle la beauté des sentiments et la noirceur du personnage. Bela Tarr force le trait et plonge le spectateur dans une œuvre où les lumières viennent baver sur l’image, où le Noir et Blanc n’est pas simplement un choix narratif, il est un outil de narration qui participe à la grandeur de cette Œuvre qui va ouvrir en grand les portes de la reconnaissance au réalisateur qui reviendra, 7 ans plus tard, un Mur Berlinois et un Rideau de Fer tombés, avec une œuvre magistrale et fleuve : « Satantango » (http://www.dvdcritiques.com/BluRay/9581). Mais Bela Tarr n’est pas du genre à s’arrêter là et en 2000, nous offre une nouvelle œuvre magnifique de poésie et de mélancolie : « Les Harmonies Werckmeister », où le réalisateur sait se faire volontiers abstrait et fait penser à d’autres grands réalisateurs internationaux. Au point que deux des derniers grands du Hollywood Underground : Jim Jarmusch (Only Lovers Left Alive) et Gus Van Sant (Elephant) louent l’aspect visionnaire du réalisateur Hongrois qui sait jouer avec la narration pour, chaque fois, offrir une nouvelle expérience cinématographique aux spectateurs. Le coffret que nous propose de découvrir l’éditeur Carlotta, est une occasion remarquable de re-découvrir l’un des derniers réalisateurs, touchant et bousculant du cinéma Européen.