Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s'installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue...
Il y a dans le cinéma d’Alain Guiraudie, une manière d’aborder les êtres qui est singulière. On y parle souvent de désir, mais également de nuances et d’acceptation. Tout est plus ou moins nébuleux pour mieux mettre le spectateur dans une position active, afin qu’il perçoive les nuances des personnages, leurs complexités, leurs parts d’ombres et puis, bien sûr, leurs ambiguïtés. Avec « Miséricorde », le réalisateur semble vouloir aller plus loin, en présentant son film comme « Crépusculaire », dans le sens où il s’ouvre sur un enterrement et se referme dans un cimetière. Entre les deux, nous suivons un personnage, Jérémie, qui revient dans le village de son enfance et de son adolescence pour assister à l’enterrement de son ancien patron. A partir de là Guiraudie va constamment souffler le chaud et le froid. D’abord entre le fils et son héros, dont les liens sont plus complexes qu’il n’y parait. Puis c’est avec la femme de son ancien patron, qui l’accueille chez elle, que les relations vont passer de simples à nuancées, des deux parties de l’échiquier. Et ainsi de suite, durant toute la première moitié du film, le réalisateur va constamment jouer les contrastes, brouiller les pistes et nous perdre volontairement, toujours pour mieux nous mettre une position active.
La seconde partie du film, va voir le héros changer de couleurs et ce sont les autres personnages qui vont alors constamment jouer sur les ambigüités, comme le prêtre dot on ne saisit pas tout de suite les intentions, ou encore Martine, la veuve, qui semble s’accrocher à Jérémie, et c’est à ce moment précis qu’Alain Guiraudie va alors nous emmener dans sa vision de la Miséricorde. Les doutes, les secrets, les intentions, bonnes ou mauvaises commencent à apparaître. Ce qui est intéressant dans la manière dont le réalisateur a construit son scénario et sa mise en scène, c’est qu’il ne s’embarrasse pas du superflu, il ne cherche pas à faire dans le classicisme pur jus. Comme il le dit si bien : « Nous n'avons pas besoin de savoir toutes les étapes de son passé, juste le nécessaire, ensuite au spectateur d’imaginer le reste ». Et c’est le meilleur choix qu’il puisse faire, car tout cela participe au mystère qui va alors régner en maitre dans ce film parfaitement maitrisé, qui peut se revendiquer du cinéma de Bergman, Lang ou encore Hitchcock, avec cette manière de jouer avec les personnages sans jamais chercher à en donner plus que nécessaire, sans jamais perdre son sens du rythme pour capter le spectateur.
La grande révélation du film est évidemment Felix Kysyl, que l’on avait déjà pu voir dans « Le Redoutable » (2017) de Michel Hazanavicius ou encore « Le Consentement » (2023) de Vanessa Filho. L’acteur est de quasiment tous les plans et impose un jeu instinctif mais précis, dans lequel il apporte une prestation précise dans lequel il compose un personnage complexe entre ange et démon. Face à lui, il y a la toujours excellente Catherine Frot (Les Saveurs du Palais) qui impose son jeu, et la précision de sa gestuelle autant que de la manière dont elle pose ses mots. Une distribution qui, en général, n’est jamais prise à défaut.