Militant révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut tout à la fois un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov, telle une traînée de soufre, est une ballade à travers les rues agitées de Moscou et les gratte-ciels de New-York, des ruelles de Paris au cœur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle.
L’art du Biopic est un exercice complexe dans lequel il est facile de sombrer dans la facilité, et donc dans l’inintéressant, à savoir : La naissance, la vie, la mort. Les meilleurs sont ceux qui ont collé au plus près de l’artiste, ont d’abord cherché à le comprendre, pour ensuite mieux le retranscrire et donc faire apprécier son œuvre et le personnage avec toutes ses nuances. On peut, comme cela citer « Amadeus » (1984) de Milos Forman, dans lequel le réalisateur insufflait une folie et en même temps une noirceur dantesque pour mieux faire ressortir l’importance de l’œuvre de Mozart. Dans un autre style « Gainsbourg (Vie Héroïque) » (2010) de Joann Sfarr ou encore, évidemment « La Môme » (2007) d’Olivier Dahan, deux œuvres remarquables où les auteurs ont su cerner leur sujet et approfondir toute cette complexité qui fait naitre l’artiste d’exception.
Avec « Limonov, La Ballade », le réalisateur Kirill Serebrennikov (La Femme de Tchaikovsky) continue d’explorer les paradoxes de son pays, avec une certaine force narrative. Ici, il livre une œuvre kaleidocopique qui colle à merveille avec la folie du parcours de son personnage : Le Poète Edouard Limonov (1943-2020), un écrivain dont l’œuvre est aussi politique que son comportement est anticonformiste. Un personnage qui pourrait illustrer à lui seule le paradoxe de la Russie depuis la révolution, jusqu’à l’arrivée de Poutine. Car Edouard Limonov est un personnage complexe, abstrait, qui dit tout et son contraire. Une sorte de Bob Dylan de la littérature russe, n’hésitant pas à rejeter ses détracteurs en public, tout en ayant besoin d’eux. La mise en scène de Serebrennikov est donc à l’image de son personnage, elle suit ses errements, sa folie et se transforme en une sorte de montage des scènes qui parfois se perdent dans une narration qui semble vouloir lui donner une chance de comprendre le personnage et sa capacité à lui-même se perdre dans ses errances au point de passer de dandy mondain à SDF, de poète enragé à romancier génial. Une mise en scène en accord qui se love dans l’esprit tourmenté de son sujet, on n’avait pas vu ça depuis « The Doors » d’Oliver Stone en 1991.
Seulement voilà, à trop vouloir en faire, le réalisateur se perd dans sa propre exigence et dans la propre folie de Limonov, Cet ensemble de vignette est aussi génial que tourmenté et cela implique malheureusement de laisser, la plupart du temps, le spectateur sur le côté de la route. La vision Kaleidoscopique de Serebrennikov manque de lecture claire et rend obscur son propos, comme s’il ne voulait pas percer le personnage et nous empêcher de l’approcher de trop. Pourtant, il peut compter sur l’interprétation hallucinante et presque possédée de Ben Wishaw, qui depuis, « Le Parfum » (2006) de Tom Tykwer, a su incarner avec brio et précision l’ensemble de ses personnages, que ce soit Q dans la saga James Bond, Henrik dans The Danish Girl » (2015) de Tom Hooper ou Limonov dans ce biopic incontrôlable et parfois incontrôlée. L’acteur est brillant, précis, sombre et parvient à être aussi touchant.
En conclusion « Limonov, la Ballade » est un film inspiré, qui se voulait au plus proche de son personnage tourmenté, mais qui se perd bien trop souvent dans sa narration pour ne pas laisser le spectateur sur le bas-côté. Malgré tout, il y a bien longtemps que nous n’avions vu un biopic aussi proche de la folie de son sujet et cela mérité d’être souligné car Kirill Serebrennikov a su, malgré tout, casser les codes du Biopic, comme Limonov cherchait consciemment ou non à casser les codes de son époque.