Dans un lieu sauvage et retiré vivaient une fois des poules, des canards, un Coq.
La subsistance suivait son morne cours (on vit, on pond, on meurt) lorsqu’un beau jour, un œuf plus grand que les autres est trouvé par hasard par le Coq, l’adoptant, espérant un garçon. D’une importante couve éclôt d’un charmant caneton.
Aimable comme tout mais laid comme un poux, la fermeté du pied du monde qui l’entoure est certainement loin de tout ce qu’il pouvait imaginer …
LA TOLERANCE A LA MANIERE FORTE
Mais qui c’est ça, sssuillà Garri Bardine ? C’est uns de ces Angus McGyver de l’Animation qui vous fait des miracles d’intelligence, de drôlerie, d’acidité ou de mélancolie avec littéralement 3 fois que dalle pour les imager (des allumettes dans Conflict (Konflikt, 1983) ; du fil de fer dans Fioritures (V'ikrutasi, 1987), du papier dans Adagio (2000) ; … ).
L’existence d’un pas-beau bébé canard (naissance, croissance, age adulte) qui cherche amour, chaleur, considération … pour ne trouver que rejet, mépris, mise à l’écart et brimades avilissantes avant de se transformer en tout beau cygne : à l’instar des différentes / antérieures adaptations du récit très personnel de H.C. Andersen Den grimme Aelling, le metteur en scène russe en reprendra grandes lignes, structure et forme sans omettre d’y mettre quelques pincées de son si particulier grain de sel !
Proche d’Adagio et encore plus de son autre court Break! (1985), le programme est conçu à partir de volumes et autres matières solides (pâte à modeler) animées image par image. Complètement en marge de la sophistication et le contrôle (informatique) qu’offrent les supports modernes, cette technique impressionne moins par ses tours de force (cadrages, travellings) que de l’indiscutable maîtrise dont l’équipe fait constamment preuve.
Le niveau d’exigence requis par Garri Bardine ira même jusqu’à cette volonté de faire épouser la gestuelle des animaux avec la piste musicale (ici on tape direct dans du Tchaïkovski). Pratiquement tous se prononceront essentiellement par des attitudes, des danses, … aussi synchros que possible les orchestrations, ce qui fait son petit effet … mais il arrive que quelques propos, en vers, seront exclamés chantés : si vous supportez peu les productions (de toute nature) où ça ne se refuse pas d’en pousser une ou 2 dès qu’il y a un créneau, vous serez horripilés !
De la matière et du mouvement (certes saccadé et toujours précis) qui donne vie à des personnages aux design particulier, que les dérangeants environnements achèveront d’impressionner la plus jeune audience … ce qui a le mérite de coller à la sévérité du (message du) métrage.
Vous trouviez que Caliméro c’était vraiment trop injuste ? Vous n’avez pas oublié ce goût amer qu’a laissé chaque diffusion de la petite grenouille analphabète Démétan dans votre bouche ? Vous êtes rassurés qu’on esquive les cas de Rémi, Nello, son chien Patrache et les Animaux du Bois de Quat’ Sous ? Princesse Sarah dégommait pour vous les records de tristesse étalées à la télé (française) ? Vous vous souvenez encore des fameuses boulettes de riz de la petite Setsuko dans le Tombeau des Lucioles ? Attendez-vous alors à ce que la vie de cet affreuse chose figure sur votre liste intime des animations les plus abusées vues jusqu’alors. L’écrit danois n’avait pas marqué les mémoires pour sa gentillesse et sa concession, la relecture Bardinienne en conservera noirceur et cruauté, renforcées par, comme mentionné plus haut, l’austère du rendu de la réalisation.
Le Caneton esseulé, à l’air triste, la peau sombre / lisse, aux difformités jugées inesthétiques est gentil, il réclame donc de la tendresse et peut faire preuve d’un courage le rendant capable de commettre les plus inouïes prouesses (ne manquez pas les rencontres avec le renard). Il sera encore moins bien traité qu’un vulgaire ver de terre, lui-même spectateur du désespoir …
Il va subir l’acharnement de sa famille d’infortune. Malgré leur fierté d’appartenir à l’élite de la volaille, agitant leurs plumes aux couleurs pétantes, les animaux du poulailler sont surtout un concentré de vices et de mauvais comportements (vaniteux, vindicatifs, jaloux, intéressés, …) que leurs airs fermés ne rendent pas plus mignons qu’ils ne le sont déjà pas (aussi bien les femelles que les mâles ou les pioupious). Leur but dans la vie ? Plaire à un Dindon qui ne doit pas avoir beaucoup connu le sentiment de bonne humeur …
L’histoire a tout de même été réinterprétée afin de ne pas exclusivement se focaliser sur ce difficile 1e niveau de lecture : quelques ajouts et modifications opérés pour cette assez intéressante allégorie politique – qui rappelle furieusement un autre cheptel des 50’s (action située dans un endroit isolé de tout, protégé par un contour de planches de bois ; rites et rythmes (chants matinaux récurrents l’aile sur le coeur à la gloire du Drapeau, défilés, système de hiérarchie, …) et socio-comportementale (l’ajout d’un Roi de la Basse-Cour qui gobe des œufs pour pousser son tout puissant cocorico, poltron et ingrat ; questionnements sur la difficulté de vivre ; …) … qui converge vers ce qui risque de marquer durablement les esprits : l’intolérance.
CONCLUSION :
La durée est idéale, les images parlent d’elles-mêmes, le message touchera au plus large, une barrière de la langue qui sait être inexistante (bien qu’ici on est aidés par un texte bien établi dans l’inconscient collectif) : une belle histoire, poignante, triste et viscérale.
Qu’il s’agisse d’allusions politiques, psychologiques, morales, physiques ou autre, le cœur de Gadkij Utënok bat d’autant plus fort qu’il est sublimé par ses choix artistiques (méthode désuète impliquant un long temps de chargement, pertinent travail sur la musique, approche digne des films d’autrefois) mais n’atténuera jamais sa dureté de propos pour flatter le public qui peut en ressortir choqué, outré, effrayé et bannir le disque par peur, impression d’abus, … peut-on s’hasarder à dire « comme avec le petit canard » ?
Objet subjuguant et paradoxal qui recevra donc son label "vidéo pour apprendre la vie" en fonction du jugé de la maturité du public embarqué et, d’un point de vue général, de ce que tout le monde est prêt à supporter aux niveaux visuels et narratifs.
A la fin, une chose est sûre : vous aurez moins de scrupules à vous faire une omelette ou des œufs sur le plat.
On a affaire à 3 pistes son : la VOSTFR DTS Master Audio 5.1, le doublage français en 2 versions (DTS Master Audio 5.1 et Stéréo).
Pour ce qui est de la comparaison, la Stéréo est bien rodée et fait ce qu’on attend d’elle au mieux de sa forme (bruitages, dialogues, musiques toujours clairs).
Les pistes DTS, c’est forcément une toute autre histoire, mais à 2/3 choses près, les 2 s’équivalent : solides, soutenues, puissantes et limpides (les effets sonores ont un rendu bien plus sympa), elles donnent surtout plus d’ampleur et de relief aux quelques morceaux issus de Casse-Noisette et du Lac des Cygnes.
La version originale est un sacré dépaysement ! Les chants revigorants et les différents timbres des interprétations sont restitués correct, les sous-titrages bien timés achèveront d’aider efficacement à la compréhension. La puissance émotionnelle, on y est !!
Respect des intentions, intonations et sentiments (chapeau pour comment ça monte parfois dans les aigus) que ce soit dans les voix où les textes : les responsables de la localisation peuvent se féliciter car le travail fourni est sincèrement d’excellente qualité. A écouter !