Imaginez une ville où les gens n’ont plus goût à rien, au point que la boutique la plus florissante est celle où on vend poisons et cordes pour se pendre. Mais la patronne vient d’accoucher d’un enfant qui est la joie de vivre incarnée. Au magasin des suicides, le ver est dans le fruit…
Le suicide n’est à proprement parlé, pas le sujet le plus facile à adapter en film d’animation, puisque le genre est par essence destiné au plus jeune public. Bon, mais depuis un certain temps, on a vu des œuvres d’animation plutôt à destination des adultes, avec des sujets graves et profonds comme : « Persépolis » ou encore « Valses avec Bachir ». Dans ce cas la narration se fait plus sombre, avec une animation plus austère. Patrice Leconte a, au contraire, décidé de prendre le public à contre-pied en inversant les rôles. Le suicide est une action finalement assez commune, et la famille qui tient « le magasin des suicides » est une sorte de « Famille Adams » qui prend la mort avec détachement, presque comme un jeu commun pour chacun des clients qui passe la porte. Pas de carte de fidélité, mais l’assurance d’un suicide réussit.
Et le style Leconte s’impose d’entrée de jeu, avec des répliques particulièrement bien ciselées, une énergie qui joue en permanence la carte du contraste pour mieux surprendre le spectateur et une poésie qui prend doucement sa place dans un sujet qui ne lui en laisse pas tant que ça. L’animation est volontairement rudimentaire, sans pour autant être archaïque, et le 3D devient d’un seul coup un élément du décor pour jouer sur les flous et sur les profondeurs de champs. Puis lorsque le personnage d’Allan, enfant qui sourit tout le temps, apparait, le monde qui s’est rôdé devant nous commence à s’effriter doucement, lentement mais surement. Les certitudes autour de la mort provoquée paraissent d’un seul coup plus fragiles, et lorsque Mishima, le père voit la mort et la vie se confronter, son univers s’effondre et le bonheur refait un brin de surface à travers ce petit garçon qui ne supporte plus la morosité ambiante.
L’intelligence de la mise en scène de Patrice Leconte est de mêler la légèreté des chansons intégrées à l’histoire, comme dans un Disney, de savoir garder une mise en scène souple, presque fragile pour mieux donner corps à son histoire. Alors que l’on fronce les sourcils en découvrant le sujet, le réalisateur nous assouplis avec une chanson de Charles Trenet : « Y’a de la joie », puis enfonce le clou avec la chanson du « Magasin » où la présentation des membres de la famille se fait au rythme de l’énumération musicale des différentes possibilités de mettre fin à ses jours.
Toute cette légèreté de contre-pied prend corps avec le doublage minutieux et précis de Bernard Alane (Sur mes lèvres) et Isabelle Spade (La fille sur le pont) qui ne sont pas sans rappeler Gomez et Morticia Addams. Avec une joie dans les intonations qui permettent de mettre en valeur la subtilité du paradoxe de cette ville surprenante où les suicides sont devenus un rouage de la banalité. Mais la véritable petite perle de ce film d’animation, c’est la voix et le jeu du jeune Kacey Mottet Klein (Gainsbourg Vie Héroïque) qui semble bien décidé à confirmer tout le bien que l’on pouvait penser de lui depuis son incroyable prestation dans le film Joan Sfar. Le jeune comédien a la voix lumineuse, on sourit presque en permanence comme le fait son personnage dans le film.
En conclusion, « Le magasin des Suicides » de Patrice Leconte est un film d’animation surprenant, mais pas du tout effrayant avec un sujet sombre mais une mise en scène souple qui laisse une certaine légèreté à l’ensemble. Une œuvre qui n’est pas sans rappeler les frasques de « la famille Addams », notamment avec la voix juste et précise de Kacey Mottet Klein dans le rôle du petit dernier : « Allan ».