Pour la fin de l'été (et le 24 août précisément), l'éditeur indépendant Elephant Films a la très bonne idée de ressortir en DVD et Blu-ray une festive collection de comédies -musicales ou non- marquées seventies au possible : « Xanadu », « Sweet Charity » et ce « Car Wash » (ici critiqué, comme les deux autres titres).
Film de blaxploitation (courant culturel et social propre au cinéma US de l'époque et qui a revalorisé l'image des Afro-Américains en leur donnant désormais des rôles de premier plan et non plus seulement dans des rôles secondaires et de faire-valoir, même s'ils ne sont ici qu'ouvriers prolétaires) réalisé par Michael Schultz (« Together for Days », « Honeybaby, Honeybaby » et « Cooley High »), « Car Wash », sorti pour l'été 1977 dans les salles hexagonales (le 8 juin) après neuf mois d'exploitation US (puisque y sorti le 5 octobre 1976), ne fait que diffuser durant ses merveilleuses 97 minutes de comédie (rythmée par l'excellente bande-son funk signée de Norman Whitfield de la Motown et le groupe Rose Royce) que de la joie et de la bonne humeur chaleureuses dans cette journée presque ordinaire d'une station de lavage manuelle d'un L.A. ensoleillé.
S'éloignant des discours archétypaux d'autres films de la blaxploitation (que ce soit le succès planétaire « Shaft » et autres « Black Mama, White Mama » ou titres plus inconnus: violents et remplis de clichés et préjugés sur des prostituées, dealers et tueurs dans le ghetto -essentiellement new-yorkais), ce portrait lumineux d'une Amérique des seventies dont certains pourraient être nostalgiques (le disco, la funk, la liberté sexuelle, le combat pour les libertés civiques, etc) ne doit pas être limité aux portraits colorés -sans mauvais jeu de mots- d'une galerie hétéroclite mais sympathique de personnages attachants, puisque que, comme dans toute bonne comédie correctement écrite, se cache sous de souriantes répliques et des gags drôles certains sujets de société (d'époque), plus aisément abordés et énoncés.
Pour ce dernier jour de la semaine (et rituel jour de paye dans cette Amérique aux contrats de travail hebdomadaires), alors que T.C. (Franklyn Ajaye à la coupe afro des plus seventies), amoureux transi de la jolie petite serveuse d'en face (Tracy Reed aux jambes inoubliables dans sa mini-jupe alors qu'elle arrive à son travail), rêve de remporter deux places à un blind test radiophonique pour le soir même quand il ne veut pas devenir le premier « Superman Black »: la Mouche qu'il dessine (oubliant Luke Cage alias Power Man, super-héros Black Marvel issu du ghetto en 1972 ou la Panthère Noire du même éditeur en 1966), ses autres et nombreux collègues de la station de lavage de voitures à la main -à l'ancienne- Dee-Luxe Carwash de Mr. B (Sully Boyer) ne sont pas en reste: si le patron va devoir cacher le temps de la journée sa relation avec sa secrétaire à l'accueil -Marsha (Melanie Mayron)- son fumeur de joints de fils Irwin (Richard Brestoff), étudiant maoïste convaincu qui veut abandonner ses études pour le monde ouvrier, l'ayant accompagné, le lêche-cul d'Earl (Leonard Jackson), « chef » de cette joyeuse équipe, se croyant supérieur car au séchage des voitures, va devoir, lui, faire avec le reste de l'équipe et la clientèle.
Que ce soient, entre autres, Goody (Henry Kingi), un Amérindien qui ne veut pas quitter son chapeau aux oreilles de souris et, qui va chercher à se venger des blagues de ce crétin de Chuco (Pepe Serna), l'autre duo d'artistes: Floyd (DeWayne Jessie) et Lloyd (Darrow Igus), danseurs qui s'imaginent que la voisine Hollywood attend encore leur show éculé, ou ce vétéran du Vietnam, Geronimo (Ray Vitte), prodiguant ses conseils conjuguaux -puisque « marié trois fois et demi »- au cow-boy de pompiste, Scruggs (Jack Kehoe), qui a peur que sa femme apprenne qu'ils ont eu avec son collègue une aventure avec une autre femme la nuit passée...
Lonnie (Ivan Dixon), ancien déténu assumant son passé mais ne désirant plus maintenant que se réinsérer et qu'on le laisse tranquille -dans ce travail aussi modeste soit-il mais en lequel il croit et pour lequel il fourmillerait d'idées- étant, en fait, le véritable chef de toute cette turbulante petite troupe, qui compte aussi le rebelle en perdition Duane ou plutôt Abdullah (Bill Duke), depuis qu'il s'est converti à l'Islam et revendique désormais une suprématie noire (Bill Duke), et l'obèse Hippo (James Spinks), qui pourrait bien échanger son éternel poste radio contre les faveurs de Marleen (Lauren Jones), une belle prostituée Noire (blonde puis rousse) qui va atterir dans les toilettes de ce car-wash après avoir arnaqué un chauffeur de taxi (le caméo George Carlin qui aurait écrit ses propres lignes de textes) -qui va la rechercher ici- et par qui tout va commencer...
Désigner de costumes qui a commencé dans la comédie de SF « Woody et les robots » de Woody Allen, entre autres, avant d'affiner ses talents cinématographiques (et j'entends déjà rire de mauvaises langues) à la télévision (y réalisant et écrivant, pour exemple, le téléfilm biographique « Virginia Hill ») et de revenir au cinéma en tant que scénariste, le quarantenaire Joel Schumacher (oui, l'homme accusé d'avoir tué Batman à la fin des années 1990) rédige donc dans cette année 1976 deux scripts: le drame musical « Sparkle » confié au réalisateur Sam O'Steen et ce « Car Wash » que le téléaste aux séries policières atypiques (« Starsky & Hutch » -sur lequel on se doute il aura recruté son homosexuel Lindy- ou « Baretta ») Michael Schultz va prendre en mains.
Mais, loin d'être l'oeuvre de débutants ou seconds couteaux, ce quatrième film du réalisateur politique d'un drame mixte (l'amour naissant entre un Noir radical et une Blanche) en 1972 (« Together... »), un film d'action mettant en vedette un mercenaire et une comédie estudiantine (« Honeybaby... » et « Cooley High », deux films de blaxploitation) poursuit le travail affiné d'observateur du quarantenaire -et de son scénariste- sans tomber dans le militantisme affiché, tout en sachant intelligement changer de registre: et ce portrait d'une communauté (Afro-Américaine) et d'une classe sociale (le prolétariat, les ouvriers, etc), malgré et au-delà de certains clichés (en partie évoqués dans ce résumé du film précédent), est une réussite!
Merveilleuse pépite sociologique, que vous connaîtrez surement plus par sa bande-son (dont le disque sera un carton dans les bacs et récompensée par le désormais disparu Prix de la meilleure musique au Festival de Cannes en 1977 mais aussi un Grammy Award for Album of Best Original Score Written for a Motion Picture or Television Special en 1976 pour Norman Whitfield) et surtout son titre homonyme (repris par Christina Aguilera et Missy Elliott en 2004 pour la BO de « Gang de requins », sic!), « Car Wash », merveilleusement bien écrit -par ce « petit Blanc » de Joel Schumacher, réussit, donc, au-delà des stéréotypes archétypaux de personnages que l'on va découvrir dans ses premières minutes, alors que tous les employés arrivent chacun de leur coté et par leurs propres moyens variés (mais aussi et surtout la voix du DJ JB: Jay Butler en VO), à militer -ou presque puisque Schultz ne s'est jamais revendiqué comme tel- à l'époque de sa sortie et à nous rappeler aujourd'hui pour quelles libertés et égalités s'est battue la communauté Afro-Américaine de ce pays qui allait élire plus de trente ans après un Président Noir.
Oui, Michael Schultz ne fait que relater une sympathique tranche de vie (à la veille du week-end) d'un monde ouvrier bien précis au milieu des seventies et ne martèle pas de véritables discours politiques appelant à la révolte et l'émeute directe et belligérante (même si les personnages du fils Irwin prônant les bienfaits du « Petit Livre Rouge » de Mao, paru en 1964, et d'Abdullah, Black converti à un Islam qui faisait encore rire et ce même au sein de sa communauté et non effrayait à tort le monde l'entourant, représente la poursuite de la lutte des droits civiques contre le système impérialiste de Malcom X, assassiné le 21 février 1965), oui, tous les employés du Dee-Luxe Carwash ne sont pas Noirs: les blancs Scruggs (Jack Kehoe) et Marsha (Melanie Mayron), l'Indien Goody (Henry Kingi) ou le latino Chucco (Pepe Serna) aussi, mais, pourtant, on ne peut pas nier que sous ses airs de fraicheurs biens plus odorisante et bénéfique que n'importe quel sapin à la con pendu sur un rétroviseur, aussi passé soit cette Amérique et même ce travail (l'insupportable petit skateur de Calvin, incarné par Michael Fennel, ne dit-il pas à Mr. B que son travail est fini et que tout est désormais automatique ?) ici filmés, ce film puisse avoir grandement participé à la cause Black -et ce même bien plus que certains hits de la blaxploitation ayant explosé des scores aux box-offices.
Non pas, parce que certains haineux et autres peureux inconscients (qui ne comprendront jamais rien à l'avenir en regardant autant et aussi mal dans le passé) pourraient vouloir que cette communauté reste confinée à d'aussi petites oeuvres, même sortie de « ses » champs de coton, mais parce que ce souvenir nostalgique d'une époque bénie -où on n'en avait rien à foutre que tu sois Noir, Blanc,Gris, Beur, Jaune ou même Rouge (Peau-Rouge ou politique) ou que tu ne bouffes pas de porc parce que tu es « Muslim » ou Juif et même que tu en bouffes parce que tu es chrétien ou athé, voire ne joue pas avec ta quéquete comme les autres, et où on était tous potes (d'iconiques badges jaunes allant arriver en France bien plus tard), tous dans le même bain et dans la même merde ouvrière au service d'autres ouvriers tentant de s'en sortir aussi ou jouant les petits kapos, asservis eux-mêmes à d'autres grands capitalistes et futurs yuppies priant déjà cet horrible dieu dollar vert- souligne, qu'au-delà d'un communautarisme malsain, dévoyé et détourné qui allait croître comme un cancer au sein des métropoles, populations, pays et continents, l'unité est la seule et unique valeur à prier, choyer et partager: « une seule race pour plusieurs couleurs/nous sommes une seule race pour plusieurs couleurs/nous sommes tous sortis du même moule, du même oeuf/du sein de notre mère la Terre » dit la chanson. Et c'est à ça que me fait penser ce film, oui.
Même si le personnage du cireur de pompe (le vrai, celui qui le fait comme travail quotidien et non pas jour et nuit comme le personnage d'Earl), Snapper -incarné par Clarence Muse- a, selon moi, le malheur d'être tombé dans les filets du charismatique télé-évangéliste et pimp Daddy Rich (Papa Riche en VF), incarné à l'arrache par la star Richard Pryor pour dépanner Michael Schultz et qui prie plus la maille qu'une véritable foi, et que celui d'Abdullah, qui refuse cette croyance capitaliste pour tomber dans les extrêmes de Malcom X et du mouvement révolutionnaire Black Panther et d'un nationalisme noir, pourrait être celui qui refuse cette idée d'union dépassant les préjugés, tous nos autres foldinguos s'agitant à cet angle des 610ème South Rampart Boulevard et 6ème Ouest (mais n'y allez pas, le car wash de Robert Taylor n'existerait plus) restent, pour moi, l'image d'une union hétéroclite mais dont c'est aussi la force plus que la faiblesse: « prolétaires (...), unissez-vous », cette épitaphe de la tombe de Karl Marx ponctuant ce « Manifeste du Parti Communiste » co-écrit avec Friedrich Engels pouvant aussi bien à s'accorder à ce film. Pourtant pas si politique, vous dit-on.
Et plutôt que de prétendre décrypter ou politiser les propos de l'Afro-Américain Michael Schultz et du gay Joel Schumacher, retournons nous attarder sur cette utilisation (alors) inhabituelle de la musique dans cette comédie musicale qui n'en est pas une. Ou presque.
Cette station-radio (KGYS) quasi-omniprésente en fond sonore, qui devient elle aussi un personnage en plus du narrateur (cf. le générique de fin: inversion de l'absence de générique d'intro') à travers la voix de ses DJ évoqué plus haut, au-delà de booster et motiver le travail manuel et dit inférieur de ces hommes unis par cette funk (cf. cette scène où Mr. B regrette d'entendre à longueur de journée les mêmes trucs et préférerait écouter du Frank Sinatra ou Bing Crosby), donne, donc, également au film un montage réussi avec les dénouements de chaque intrigue posée ici et là superbement ciselés.
Dépendant de ces règles très classiques et théatrales d'unité de temps, de lieu et d'action (respectivement cette journée de vendredi, de l'ouverture à la fermeture du Dee-Luxe Carwash où tous travaillent et se croisent) qui ont servi au premier scénario du débutant Schumacher et d'un tournage chronologique comme l'a désiré le réalisateur (témoignant de sa conception très précise des personnages et du film: la pause repas de midi étant pile-poil à la moitié de celui-ci, à 45 minutes!), l'incroyable et excellent travail en background à certains moments et en premier plan dans d'autres de Norman Whitfield est à vivre, comme pour ces fictifs employés, comme des plages libératrices de distraction: de ces moments où même nous, dans le monde réel, nous nous échappont en chantonnant ou écoutant encore de ces titres (honteux, préférés, nouveaux ou non) accaparés sur d'autres taches, dont professionnelles. La bande originale du film accompagnant bien mes doigts sur le clavier...
Alors, si vous aussi vous voulez prendre une petite pause, qui plus est musicale, que vous ayez une voiture à laver (ce qui est mon cas) ou non, ou même vous souvenir de votre premier travail: laveur de voitures (oui, ça a été mon cas, aussi, vingt ans après, mais avec beaucoup plus de collègues féminines et interdiction de mettre de la musique), amoureux de Richard Pryor (comique disparu qu'idolatra Eddie Murphy avant de lui prendre sa place) ou non, matez ou re-matez-vous donc ce feel good movie d'antan!