Comédie musicale américaine ayant brûlé les planches de Broadway dès 1966, « Sweet Charity » du producteur et dramaturge Neil Simon (sur laquelle le compositeur Cy Coleman et la parolière Dorothy Fields vinrent apposer leurs signatures emblématiques allant faire de ses numéros musicaux des moments déjà inoubliables) se voit transposer dès 1969 sur grand écran.
Et qui de mieux que le légendaire Bob Fosse, qui avait déjà dirigé et chorégraphié ce succès « théâtral » (participant en grande partie au succès, à l'époque et dans le temps, de ce musical), pour cette nouvelle version ?
S'inspirant déjà très librement sur scène des aventures du personnage qu'incarne l'actrice italienne Guilietta Masina dans « Les Nuits de Cabiria » (1957) de Federico Fellini -où une prostituée un peu simplette échappe à la noyade après avoir été dépouillée par celui qu’elle croyait être son grand amour avant de faire la connaissance du gentil et timide Oscar, qui ne sera peut-être pas l'amour de sa vie, ou non- cet excentrique mais toujours positif personnage chantant et dansant de Charity s'adapte un brin à son actrice (principale) en passant en 35 mm (mais 70 également : la première étant sortie en son monophonique et la seconde en 6 pistes stéréo) : Shirley MacLaine ayant déjà incarné par le passé des filles légères dans « Comme un torrent » (1958) de Vincente Minnelli, où la jeune fille en fanfreluches qu'elle est a suivi l'ancien GI Dave qu'elle aime éperdument, lui étant totalement dévouée corps et âme après une soirée bien imbibée, et la célèbre « Irma la douce » (1963) de Billy Wilder dans lequel elle traînant son chien en bas verts (elle, pas le chien!).
Relation mondaine provisoire (depuis huit ans) pour ne pas dire entraîneuse -ou taxi-dancer en VO- dans un bar à tango malfamé, le « Fandango » (salle de danse délabré minable où on se coiffe à coups de fer à repasser), la rouquine Charity Hope Valentine y passe un peu pour mytho auprès de ses collègues ou trop grosse fumeuse de joints.
Malheureuse en amours (sa récente mésaventure avec Charlie lui a valu d'être dépouillée de toutes ses économies et poussée du haut d'un pont dans le petit lac de Central Park, alors qu'elle croyait en une demande en mariage), cette fille qui danse avec des partenaires différents chaque soir -pour payer son loyer- ne désespère pourtant pas de trouver celui qui la sortira de ce trou par celui qui sera l'homme de sa vie !
Est-ce que la douce rêveuse et éternelle optimiste qu'elle est conviendrait à la grande vedette italienne de cinéma, Vittorio Vitale (Ricardo Montalban), don Juan qu'elle croise en train de se disputer avec sa fiancée, alors qu'elle rentre chez elle, ou est-ce que l'homme de sa vie pourrait être Oscar Lindquist (John McMartin), timide agent d’assurances claustrophobe avec qui elle va rester bloquer un soir dans un ascenseur ?
D'abord, incarnée à New-York par la légendaire artiste de Broadway Gwen Verdon (chanteuse et danseuse quarantenaire ayant créé plusieurs rôles majeurs de Broadway - « Can-Can » ou « Chicago »- récompensés par des Tony Awards entre 1950 et 70), cette prostituée au grand cœur des artères festives de New-York confidentielles (devenue, en accédant à une Amérique entière plus puritaine, taxi-dancer) de Charity Hope Valentine retrouve, donc, les courtes mèches teintes en orange plus que roux de la grande sœur de Warren Beatty, Shirley MacLaine -qui, en plus, d'avoir été l'ingénue Ginnie et la douce Irma évoquées plus haut, a déjà repris en 1960 la suite de Gwen Verdon dans le « Can-Can » cinématographique de Walter Lang.
Recouverte de rouge (que ce soit sur ses tifs, ses lèvres ou ses fripes) et tatouée (d'un cœur rouge digne d'un marin en goguette sur l'épaule gauche), l'actrice et danseuse, qui n'a fait que répondre ainsi à la proposition de Gwen Verdon herself (qui occupera sympathiquement le poste de sa coach chorégraphique, même si la doublure danse de l'actrice entamera des années plus tard une célèbre carrière pornographique sous le nom de Georgina Spelvin : « The Devil in Miss Jones »), va traîner son mètre 70 contre les barres du Fandango, sur de très théâtraux toits new-yorkais et autres monuments et artères touristiques de Manhattan pour tenter d'honorer les scènes de Neil Simon, Dorothy Fields, Cy Coleman et Bob Fosse.
Mais, aussi talentueux ait été sur Broadway le scénographe et chorégraphe (Bob Fosse ayant, par exemple, participé aux succès de « Damn Yankees », « New Girl in Town » ou « Redhead » avec Gwen Verdon, entre autres), qui accède là à sa première réalisation cinématographique, et même en collaborant encore et toujours avec le pianiste de jazz Cy Coleman pour la musique et la récompensée et prolifique parolière Dorothy Fields (les chansons sur grand écran n'ayant pas changé), et sans vouloir accuser le scénariste télé du « Charade » (1963) de Stanley Donen qui est venu retravailler et étendre le livret de Neil Simon, ces longues 149 minutes et énormes 20 millions de dollars de budget (le tournage obligeant, par exemple, de vider le quartier boursier de Wall Street pour filmer une joyeuse parade) dégoulinant sur votre écran peuvent rester froids ou plutôt trop académiques à certains. Dont moi.
Première réalisation de Bob Fosse (engagé par le patron d'Universal, Lew Wasserman, à la demande de la star Shirley MacLaine), qui débuta le 4 avril 1968 -date entrée dans l'histoire car jour de l'assassinat de Martin Luther King, militant pacifiste pour les droits civiques des Noirs- et perturba, entre autres, l'une des trois principales actrices (actrice et danseuse Afro-Américaine Paula Kelly incarnant Hélène) sans que le réalisateur et chorégraphe trop concentré sur ce projet ne remarque quoique ce soit, avant de laisser rentrer toute l'équipe plus tôt chez elle -pour témoigner de son plein investissement- « Sweet Charity » aura beau enchaîner de burlesques numéros musicaux qui vont rester gravés dans certaines mémoires (« Hey, Big Spender ! », « The Aloof » extrait de ce désormais célèbre numéro instrumental mais surtout dansant au Pompeii Club ou ce « Rythm of Life » entonné par un Sammy Davis Jr. psychédélique en guide spirituel fumeur de marijuana) et permette aux film et réalisateur débutant de trouver leurs identités visuelle et professionnelle, ce galop d'essai se révélera pourtant un échec commercial pour le producteur et distributeur Universal (ne rapportant que quatre millions de dollars sur les vingt y investis!), tout en allant étonnement acquérir avec les années un statut de culte en plus de prix -Laurel Awards du meilleur film musical et de la meilleure interprète féminine dans une comédie pour Shirley MacLaine- parmi des nominations aux Golden Globes et Oscar de 1970.
Ne s'éloignant vraiment pas assez de son original (« Les Nuits de Cabiria ») pour transmettre quelque nouvelle émotion mais surtout surprise aux cinéphiles qui se seraient intéressés à la filmographie du réalisateur italien, cette transposition cinématographique d'une comédie musicale renommée et chérie du grand public témoigne, tout en perdant en vigueur, inspiration et nouveauté, comme nombre d'autres adaptations (de comédies musicales, livres, séries TV et cie) depuis que déjà Hollywood manquait non pas de productions et d'argent mais surtout d'idées, aussi bons y soient ses intervenants, participants et matériels !
Peut-être trop étendus au montage, ces rythmes et tonitruantes sonorités jazz pouvant devenir trop ententants et bruyants pour certains, et ne se démarquant pas tant que ça et en partie, par manque d'innovation ou de libertés artistiques, de numéros déjà vus ou aperçus dans d'autres succès dansant et chantant du box-office (« West Side Story » étant, je l'avoue, le seul qui me viendra en tête), donneront l'indigeste sensation et impression à ceux et celles qui ont vu le spectacle sur scène de voir... un autre film.
Et pourtant, malgré le sujet ou à cause, on ne peut nier que l'humour est aussi là, surtout dans les premières scènes ou certaines répliques, et peut sauver le film, une fois ces numéros (aussi bons soient-ils) digérés...
Bien qu'hantée par l'ombre de Gwen Verdon (ou doublée par Michelle Graham, le véritable nom de cette Justine Jones possédée), la vedette Shirley MacLaine, aussi comique soit-elle, va se révéler être une danseuse loin de s'envoler dans un firmament d'étoiles (ou de néons des plus eighties et kitschs), chanteuse des plus ordinaires dans ce genre d'exercice et une actrice pas aussi... surdouée que ça : aussi drôle puisse être son éternelle optimiste personnage titre de Charity (devant qui symboliquement toutes les portes se ferment ou qui n'a de cesse de murmurer tout et n'importe quoi comme des didascalies) ou la qualité de l'un de ses solos (« If My Friends Could See Me Now » devenu un incontournable de son répertoire), les meilleurs moments du film sont les numéros de danses déjà évoqués et enchaînes « The Aloof, The Heavyweight, The Big Finish » ou ce chœur entonnant un « Big Spender ! » au début du film.
L'actrice de 35 ans ayant, il est vrai, travaillé à un moment du tournage avec une rage dentaire si forte qu'elle la dissimula à l'équipe se retrouvant à faire elle ne sait plus quoi dans la troupe, perdue loin dans l'intériorisation de sa douleur. Mais, même le meilleur mot du médecin (ou le renvoi producteur original, Ross Hunter, qui voulait apporter des modifications) du n'excusera pas que ce film soit ainsi étendu (149 minutes dans sa version la plus courante : une édition dite « TCM » de 154 existant), sans temps morts ou presque, comparé à un show de Broadway qui connaissait sûrement un entracte -comme si Bob Fosse avait voulait prouver que le chorégraphe qu'il est pouvait être un excellent réalisateur également (même en devant tricher en détournant la caméra de son actrice principale qui pourtant monopolise le champ ou en sachant jouer de mille jeux d'éclairages, etc).
Mais, ça, c'est l'avenir qui nous le dira : « Cabaret » et « All That Jazz » !
Le reste du casting volant au même niveau que la vedette éclairée de mille feux... ou parvenant à faire mieux (et ce, sans mal?) : Chita Rivera et Paula Kelly (avec qui elle liera une profonde amitié), les interprètes de Nickie et Hélène, les colocataires et collègues de Charity, l'accompagnant voire rehaussant ce numéro de danse chantant et trépignant qu'est « There's Gotta Be Something Better Than This » sur ces toits évoqués plus haut quand les quelques apparitions de Ricardo Montalban (le futur Mr. Roarke de « L’Île Fantastique ») en simili Clark Gable ritalisé ne pourront que vous faire sourire et l'interprétation d'un gourou hippie fumeur psychédélique de marijuana dans son garage par le jazzy enfant de la balle Sammy Davis Jr. peut-être envie de rejoindre son âshram urbain...
John McMartin (qui nous a quitté cet été) qui incarna déjà Oscar, ce futur fiancé (sans spoiler quoique ce soit), sur la scène de Broadway, débutant lui aussi ou presque au cinéma reprenant ce rôle... sans bouger ses pieds dans quelque numéro de danse mais conservant tout de même sa chanson de « Sweet Charity » (oui, comme le titre de ce film).
Éternel(le)s optimistes, que vous croyez encore ou non à un véritable amour, celui-ci ayant ou non décidé de vous briser le cœur pour vous protéger et vous faire vous demandez comment trouvez votre chemin désormais, un brin vulgaires ou trop tatoué(e)s à son goût, ou même de petites vertus, précipitez-vous dans les backstages du Fandango pour visiter avec Charity cette Grosse Pomme laquée d'une année finalement pas si érotique... mais musicale, et culte !