Pendant les 12 années qu’elle dura, l’Affaire Dreyfus déchira la France, provoquant un véritable séisme dans le monde entier. Dans cet immense scandale, le plus grand sans doute de la fin du XIXème siècle, se mêlent erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme. L’affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées. A partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus.
Un film c’est avant tout une équipe, c’est surtout une envie de raconter une histoire, de parler de cette petite chose qui fait qu’un réalisateur, un producteur et un acteur vont se retrouver pour lever un voile à destination du public. Du coup lorsque son réalisateur est dans la tourmente, est ce que le film doit être conspué ? Avons-nous arrêté de lire les écrits de Céline, alors que l’on sait son penchant antisémite ? Avons arrêté de regarder les films dont les dialogues sont signé Audiard parce qu’il a commencé sa carrière dans un journal Collaborationniste ? ou encore allons ne plus regarder « The Artist » de Michel Hazanavicius, parce qu’il a été distribué par Harvey Weinstein ? Pour autant était-il nécessaire de le nommer dans les catégories Meilleur Fillm et surtout meilleur réalisateur lorsque l’on sait que cela ne fera que rajouter à la douleur des victimes présumées ? D’autant que si « J’Accuse » est un très bon film, il ne parait pas être le film de l’année et pouvait laisser la place à d’autres.
Car ce qui frappe tout de suite dans ce nouvel film de Roman Polanski c’est la méticulosité avec laquelle la reconstruction de cette France de la fin du XIXème début du XXème fut faite. Rien n’est laissé au hasard, que ce soit les décors extérieurs et intérieurs, inspirés de vieilles phots ou de peintures de peintre comme Manet, Toulouse Lautrec et de bien d‘autres ou encore les costumes, dont les moindres détails ont été respecté pour donner corps à cette histoire traitée comme un thriller haletant où le personnage principal se bat contre ses pairs mais aussi contre la politique d’un pays en plein trouble diplomatique. Un pays qui préfère vendre son âme au diable en jugeant un juif innocent plutôt que de regarder la vérité en face et reconnaître son erreur.
Adaptation du roman de Robert Harris, auteur de nombreux best-sellers Déjà adapté par le réalisateur en 2010 avec « The Ghost Writer ». Sous la forme d’une enquête menée par celui qui avait participé aux débats lors du procès de Dreyfus, le scénario déconstruit avec une minutie assez précises, les différentes strates de l’accusation, pour mieux mettre en exergue ses failles et ses faiblesses et pour ensuite dépeindre une période trouble dans laquelle l’armée s’enferme dans ses mensonges et dans ses contradictions pour ne pas perdre la face, dans une société foncièrement antisémite. Et c’est là que le scénario montre sa plus grande faiblesse, en appuyant de façon, parfois maladroite, mais trop insistante pour obtenir l’inverse de ce qu’il cherchait à démontrer : le visage antisémite de la France de cette fin du XIXème siècle. Comme Roselyne Bosch dans la première partie de « La Rafle » qui montrait des familles juives, souriantes et heureuses pour faire adhérer le public à son propos, alors que l’horreur de la rafle y suffisait, Polanski et Robert Harris (qui adapte son propre scénario) parsèment de façon régulière comme un fermier sème ses grains pour que pousse son blé, des phrases de type : « Si vous demandez si j’aime les juifs ? je vous réponde que non ! » ou alors « Dreyfus, ah c’est un juif ! ». Une insistance maladroite qui ne fait qu’alourdir le propos.
Côté distribution, Jean Dujardin (The Artist) continue son parcours d’acteur français redoutablement efficace dans ce rôle de Lieutenant-Colonel en proie à des doutes persistants sur cette affaire dont il n’avait que des certitudes. L’acteur donne le meilleur de lui-même et livre une prestation impeccable de justesse et de précision. Face à lui Louis Garrel (Les Filles du Dr March) se livre dans une interprétation monolithique, presque transfigurée pour mieux se laisser imprégner par ce personnage brisé à de multiples reprises par un pays qui se laisse glisser sans remords dans l‘antisémitisme.
En conclusion, toute la réussite de « J’accuse » de Roman Polanski réside dans la qualité de ses équipes qui ont travaillé, que ce soit aux décors, aux lumières, aux costumes et à l’interprétation. L’ensemble est d’excellente qualité et le travail du réalisateur aussi précis et inspiré que l’on pouvait s’y attendre. Avec une mise en scène qui ne s’embarrasse pas des grands effets de caméra, Polanski met la pression avec des plans serrés sur les visages, comme dans le tribunal, ou s’inspire des peintures et des photos d’époque pour mettre en scène des auditions ou les hommes s’opposent et où les militaires s’affrontent, comme lors du procès de Zola, où Gadebois et Henry se livrent à une joute verbale avec les corps raides des militaires et en diagonale comme les pages d’un livre sur tranche. « J’accuse » est un excellent film, qui traite d’un sujet encore honteux pour la France, sous la forme d’un thriller. Polanski réussit une excellente adaptation, mais les maladresses du scénario, viennent l’empêcher de toucher l’excellence d’un film qui pourrait être reconnu comme le film de l’année.