1989. Dans les cités déshéritées du 93, une bande de copains trouve un moyen d’expression grâce au mouvement hip-hop tout juste arrivé en France. Après la danse et le graff, JoeyStarr et Kool Shen se mettent à écrire des textes de rap imprégnés par la colère qui couve dans les banlieues. Leurs rythmes enfiévrés et leurs textes révoltés ne tardent pas à galvaniser les foules et … à se heurter aux autorités. Mais peu importe, le Suprême NTM est né et avec lui le rap français fait des débuts fracassants !
Audrey Estrougo la réalisatrice de « La Taularde » en 2016 avec Sophie Marceau, a décidé cette fois-ci de nous raconter l’histoire de l’un des groupes les plus emblématiques de la scène Rap Française : NTM. L’occasion, dans un premier temps, de rappeler que le groupe composé des charismatiques Kook-Shen (Bruno Lopes) et Joey Starr (Didier Morville) était avant tout un collectif qui répondait au nom de « Suprêmes NTM ». C’est aussi, le premier groupe a avoir popularisé le genre et surtout a avoir su s’opposer aux préjugés et tenté d’ouvrir les yeux d’une société qui portait un regard dédaigneux sur la banlieue et sur cette jeunesse en simple recherche d’identité. Que l’on ait aimé le groupe, ses leaders ou le style de musique ou non, « NTM » fut à l’origine d’un genre en France et lui apporta une cohérence, faites de violence, de paroles assassines et d’excès. Bien sûr Joey Starr et Kool-Shen ont pris des routes différentes depuis, mais l’impact de leur style et de leurs plumes reste indéniable dans un genre qui a, depuis, perdu tout son sens.
Avec une volonté assumée de coller au plus près à l’environnement qui a vu éclore le groupe et aux liens internes qui unissaient le groupe, la réalisatrice a également souhaité mettre une part de fiction dans son film, pour ne pas en faire un documentaire, mais s’est astreint à un travail de recherche intense pour ne pas passer à côté des personnages et particulièrement à côté de celui de Joey Starr, dont la complexité transpire à l’écran. Sous le contrôle, des deux artistes, la réalisatrice a écrit son scénario avec l’aide de Marcia Romano (A L’Ombre des Filles) en y incluant des références sociétales et culturelles pour mieux peindre le milieu et la cassure qui a fait naitre cette colère dont NTM furent les porte-paroles assumés ou non. D’ailleurs, l’histoire va se concentrer sur la période 1989-1992, celle qui a vu le groupe prendre toute son ampleur. Volontairement, « Suprêmes » ne parle pas de la fin du groupe, car aux dires de la réalisatrice, cela a déjà été largement traité dans les journaux de l’époque.
Sa mise en scène est dynamique, et garde une certaine linéarité dans sa narration. Certains pourront même reprocher une forme de classicisme dans le traitement Biopic, qui manquerait de folie ou de disgression, mais le choix de la réalisatrice s’avère payant, car « Suprêmes » c’est avant tout l’occasion de remettre en avant un style souvent snobé, malgré une popularité toujours aussi importante, même si la perversion d’une production, bas de plafond, n’est pas sans être l’une des causes de ce dédain. Le Rap était un style revendicatif, il mettait en lumière les maux d’une jeunesse, et permettait aux silencieux snobés des cités de pouvoir se faire entendre. NTM a ouvert une porte et le film offre la possibilité de se le rappeler.
Au-delà de tout ça, la réalisatrice ouvre une fenêtre, jusqu’ici fermée, sur la personnalité complexe de Joey Starr. L’homme apparait derrière la personnalité sulfureuse, les traumas, les excès les souffrances et les frustrations. A travers le jeu de Théo Christine (La Guerre des Mondes), la personnalité de Joey Starr apparait, déchirante, irritante, touchante et détestable. Un jeune homme dont l’absence de la mère et le rejet du père n’a fait que creuser une détresse qui s’est révélée dans une colère et dans une violence parfois incontrôlable. Face à lui, Sandor Funtek (K Contraire) campe un Kool Shen plus posé, plus terre à terre sans pour autant plier devant les excès de son comparse. La mise en scène met en parallèle ces deux personnes complémentaires dans leur art, et met en lumière l’environnement sociétale dans lequel ils ont évolué.
« Suprêmes » est un biopic, certes un peu classique dans sa narration, mais qui a le mérite de mettre en lumière la personnalité complexe de ses deux leaders mais également de la société qui les a vu éclore. Ce groupe a démocratisé le genre et porté un discours volontaire ou non, qui eut le mérite de faire entendre les maux d’une jeunesse en souffrance.