Wow…
L’histoire
Election 1 : Les grands pontes de la Wo Shing Society s’apprêtent à élire leur nouveau Délégué Général. Ils ont le choix entre Lo et Big D., deux prétendants aux tempéraments très différents. Mais entre les deux hommes, une violente rivalité éclate…
Election 2 : Les nouvelles élections se préparent et l’actuel Délégué Général désigne ses favoris dans la présence de ses filleuls. Parmi eux se trouve Jimmy, talentueux homme d’affaire qui a pour unique souhait d’enfin quitter la triade à jamais…
La critique
Johnnie To, l’artisan méconnu…
En occident, Johnnie To ne jouit pas de la même renommée que d’autres de ses compatriotes tels que Andrew Lau, John Woo ou Tsui Hark. A tort… En Asie, le réalisateur de Heroic Trio est considéré comme un pilier du cinéma contemporain hongkongais, à juste titre : sa filmographie est inégale comme hétéroclite avec des œuvres extrêmement variées passant du film de super-héros (Heroic Trio) au polar brutal (Running Out of Time), en passant par les films de triades (mafia de Hong Kong). Après des œuvres majeures telles que Fulltime Killer, mais surtout The Mission, Johnnie To frappe un grand coup avec la saga Election, splendide dyptique sur la triade Wo Shing.
Jusqu'à présent, le film de triade contemporain a surtout été vulgarisé par le réalisateur de Infernal Affairs (Andrew Lau) et la trilogie initiée par John Woo, A better tomorrow, plus connue en occident sous le nom du Syndicat du Crime. Les triades datent du XVIIème siècle, à l'origine constituant une seule et unique organisation secrète visant à chasser la dynastie Manchou Ch'ing afin de restaurer l'empire chinois. Au début du XXème siècle, on vit progressivement la triade quitter la Chine pour s'installer à Hong Kong. Puis, dans les bouleversements de ce siècle, la mission initiale de l'organisation disparu pour laisser place à une multitude d'entités uniquement centrées sur leur propre profit. Les deux volets de la saga Election s'ouvrent sur un préambule destiné à quelque peu initier le spectateur sur l'esprit des triades, leur fondation et leur origine. Ces introductions sont d'autant plus importantes qu'elles accentuent la dimension sacrée et ancestrale de cette mission et son caractère fraternel.
Deux volumes pour une grande œuvre…
En fait, cette saga est composée de deux films distincts, Election 1 et Election 2, mais qui pourraient être réunis en un seul et unique long film, un peu à la manière de l’édition spéciale Infernal Affairs sortie en Asie. Cette incroyable édition regroupait les trois opus de l’excellente trilogie esthétisante de Anrew Lau mais présentait aussi une vision personnelle du réalisateur qui avait remonté les trois films en un. Si l’avenir réserve le même « sort » à Election, ce ne sera point surprenant du tout, tellement les deux longs-métrages constituent la même facette d’une pièce, la suite logique de l’histoire noire et tragique des dessous et travers d’une triade de Hong-Kong.
Si Election 1 et 2 se succèdent en une logique implacable, les deux œuvres sont radicalement différentes : le premier opus met les personnages en place de manière plutôt classique pendant que le deuxième tome sombre dans une noirceur impressionnante et sans concession aucune. Bien sûr, le quotidien d’une triade n’a rien d’une cour de récréation et Lo et Big D., les deux prétendants au poste de Délégué Général, ne sont absolument pas des enfants de cœur… On peut être amené à le penser durant Election 1, lorsque les personnages prennent corps et que les deux hommes se jurent une guerre quasi sans limite. Pourtant, ces affrontements paraissent bien légers pour des affrontements de mafieux et on cherche avec amusement quelle méchanceté peut donc cacher ces gangs de tueurs pleins de loyauté, de fraternité et d’honneur. C’est là tout le génie de Johnnie To qui a été capable de réaliser un film d’une narration exemplaire, complètement exempt de ce stylisme si poussif tellement présent dans le polar asiatique de ces dernières années (on pensera à A Bittersweet Life par exemple). A une atmosphère crue très proche de celle de Syndicat du Crime, se mêle ainsi avec brio un détail digne de Infernal Affairs.
Tout visuel trop vulgaire a complètement été évincé pour un centrage complet sur l’histoire et sur des personnages atypiques et attachants. Le réalisateur de Executioners y manifeste une maîtrise surprenante du film de triade, genre pourtant surexploité en Asie. La narration est captivante, les personnages imprévisibles… Au point de subir les derniers instants du film comme une véritable bourrasque, qui en laissera plus d’un complètement sonné…
Election 2, ou l’éternel recommencement…
Le fatalisme dans lequel se terminait Election 1 se poursuit de plus belle dans le second opus. Election 2 est infiniment plus noir, plus dur, plus déprimant. Chaque protagoniste se retrouve confronté à ses vérités, à son destin, à ses choix… Bien plus violent et encore plus complaisant, Election 2 met le doigt où ça fait mal et continue de narrer la vie de cette triade dans laquelle les trahisons se comptent à foison dans un milieu pourtant régi par les plus strictes codes d’honneur. Comme l’affirme si bien le réalisateur hongkongais, le film illustre le triste spectacle, et la continuelle répétition, de la corruption des valeurs humaines par le pouvoir et la cupidité. Pour illustrer avec justesse de tels thèmes, il fallait des acteurs excellents : Cheung Siu Fai, Simon Yam, Tony Leung Ka Fai, Louis Koo... De plus, les acteurs n’avaient pas eu accès à leur script avant le tournage. Le résultat à l’écran en est réellement scotchant de maîtrise et de talent, tout est palpable…
Avec sa saga Election, Johnnie To prouve une bonne fois pour toute qu’il est un grand réalisateur. Une saga à impérativement visionner, deux films pour une seule réussite.
Verdict : 8/10
La Saga Election peut être considérée comme une pièce maîtresse de la filmographie de Johnnie To. Désormais un classique du genre, incontournable pour tout amateur de cinéma asiatique ou tout simplement du film de triade… Les autres découvriront les coulisses d’un univers passionnant méconnu en occident.