Un nouveau Tim Burton, c’est toujours une promesse immense, qu’on espère être tenue. Et cette fois encore, Tim Burton la tient, la dépasse même, en entraînant un Johnny Depp carnassier et fascinant dans la danse. Accrochez votre estomac et ruez-vous !
Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet StreetTitre original : Sweeney Todd, the devil barber of Fleet Street
USA, 2007
Réalisateur : Tim Burton
Acteurs : Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Alan Rickman, Timothy Spall, Sacha Baron Cohen
Adapté de
la comédie musicale de Stephen Sondheim & Hugh Wheeler
Durée : 1h55
L’histoireSweeney Todd débarque à Londres. Il y a 15 ans, il y vivait, s’appelait Benjamin Barker, était barbier et avait femme et enfant. Il revient chercher vengeance de l’homme qui lui a volé son bonheur et sa femme. Et il ne reculera devant rien
La critiqueTim Burton est toujours, et de loin, mon réalisateur préféré, et me déçoit rarement. C’est dire avec quelle impatience et appréhension j’attends chacun de ses nouveaux films. Et autant le dire tout de suite, Sweeney Todd frappe encore très fort, et Tim Burton nous livre à nouveau un grand film. C’est bien simple, impossible d’y trouver un défaut, tout y est parfait. A commencer par l’ambiance, inédite et inégalée, crédible et irréelle, sale et flamboyante, déprimante et gaie. Tout y concourt : costumes, lumière, décors, mise en scène, maquillage, acteurs. On a rarement vu autant d’inventivité discrète dans les costumes et maquillages. Chaque personnage ressemble ainsi à une gravure dans un livre maudit, à un être à mi-chemin entre un vivant et un zombie, sans que ça paraisse le moins bizarre, c’est juste le monde du film. Les majestueux décors d’un Londres d’époque, immense et gris, étouffant et sans ciel, aux couleurs désaturées, ajoutent à l’atmosphère confinée et sombre de laquelle peut surgir cette histoire sanglante et absurde.
L’apparence des personnages est également incroyable, notamment Sweeney Todd et sa mèche blanche, ses yeux cernés de noir, son sourire (ou plutôt non-sourire) figé. Il n’y a qu’à voir l’affiche pour comprendre à quel point le personnage explose à l’écran. Et Johnny Depp nous livre à nouveau une performance remarquable, donnant au personnage de la profondeur, le rendant tour à tour terrifiant ou touchant, nous le faisant haïr ou prendre en pitié. Son intensité de jeu transcende le personnage, et on n’imaginerait personne d’autre pour le rôle. À ses côtés, Helena Bonham Carter campe une Mrs Lovett à la fois horrible et gaie, amoureuse et meurtrière, un personnage à deux visages difficile à rendre cohérent, mais pourtant complètement convaincant. On apprécie aussi Alan Rickman en juge impitoyable, dépravé et amoureux, et Timothy Spall en bailli sadique et répugnant. Et sans oublier Sacha Baron Cohen (oui, Borat lui-même), dans un rôle irrésistible. Un casting quasi sans faute, y compris le jeune garçon dans un rôle pas évident et important, et à part peut-être les deux tourtereaux, un peu insipides.
Tim Burton oblige, la mise en scène est superbe, magnifiant à chaque instant l’ambiance mise en place par tout le reste, comme certains jeux de miroir brisé. Certaines scènes sont des sommets d’intensité, comme le vertigineux travelling pour arriver à Fleet Street, ou les face-à-face avec le juge. Le film n’occulte pas les scènes un peu gore d’égorgement, avec une représentation très graphique et sanguinolente, qui reste assez second degré, mais pourra indisposer ceux qui ne supportent pas la vue du sang. Mais venons-en au centre du film : la musique et les chansons. N’oublions pas qu’il s’agit d’une comédie musicale. Le livret est excellent, mais avec des mélodies assez spéciales, presque destructurées, avec rupture de rythme, peu de thèmes facilement identifiables, une orchestration assez décomplexée, certaines chansons syncopées ou à contre temps, parfois à la limite de la discordance, parcourant toute la gamme. Les rythmes les plus lents au plus allegro sont utilisés, avec toujours une tonalité de doute et de retenue, de noirceur et de malveillance, concordant parfaitement avec l’ambiance graphique du film. Selon le cas, la finesse ou la force va souligner la scène et les émotions des personnages. En fait, quelque chose d’assez brillant, mais qui fait bizarre la première fois.
Comme toutes les comédies musicales, on apprécie mieux quand on connaît déjà la musique. Je m’empresse donc de vous conseiller d’écouter la musique avant d’aller voir le film. Ou mieux, d’aller voir le film deux fois. La première vision vous permettra d’apprécier l’histoire et son intensité, et de mémoriser la musique. Et je vous garantis que la deuxième vision sera un feu d’artifice. Chaque début de chanson va vous donner des frissons, maintenant que vous savez quel festin cela va être. L’orchestration, remarquable, ajoute à ce plaisir de ce qui va venir par le plaisir immédiat d’une introduction délectable. On ajoutera que tout le monde chante avec sa vraie voix et chante parfaitement, c’est-à-dire d’abord juste, mais aussi avec tout le talent d’acteur de la distribution, en jouant également les paroles avec conviction. Les chansons, majoritaires (il y a assez peu de dialogue parlé, finalement normal pour une adaptation d’une comédie musicale de Broadway), s’inscrivent parfaitement dans l’histoire, et permettent d’exacerber les sentiments et enjeux du film.
Le film vous fera passer par toutes les sensations. Le drame car Sweeney est d’abord une victime, le rire lors de certaines scènes hilarantes, l’horreur des crimes, la jubilation, le doute, la tension, la musique, la tristesse, la joie, la peur, tout se mêle pour un grand huit des sentiments. Sweeney Todd est à voir absolument, et même à voir absolument deux fois pour être apprécié pleinement. Sweeney Todd est un OVNI parfait à ne pas rater. Sweeney Todd vous fera rire et frémir, vous enchantera et vous terrifiera, et ne vous donnera qu’une envie : y retourner.
A voir : deux fois. Pour commencer
Le score presque objectif : 9/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +3, un incontournable
Sébastien Keromen