UN BEAU MATIN
Un beau matin, sur les rives du
Mississippi en Arkansas, deux gamins s’en vont en canot vers l’une des
nombreuses îles que parcourt le fleuve. Que voient-ils là-bas ? Un bateau,
perché sur un arbre. Mais comment a-t-il bien pu arriver là-haut ? Par une
tempête ? Par magie ? Peu importe, ils le voient c’est tout ce qui
compte.
Mud
on l’aura
compris est un récit sur l’enfance. Ellis, l’un des deux gosses, a besoin de
voir quelque chose fonctionner, de croire en quelque chose, à l’amour, au
monde. Cela fait défaut autour de lui, dans son entourage. Voir ce bateau,
c’est voir que la magie existe. Sur cette île qu’il visite avec son ami
Neckbone, Ellis rencontre un étrange personnage, sorti de nulle part avec le
bateau et se faisant appeler Mud. Matthew McConaughey, dans ce rôle, rappelle
celui de
Killer Joe, pour son
apparence stylisée (Mud a une croix sous le talon de sa chaussure et un œil de
loup cousu dans la manche de sa chemise) et son aura inquiétante. Mais cette
fois-ci, l’acteur n’a pas revêtu les vêtements du diable. Mud est celui qui
permettra à Ellis son passage à l’âge adulte, tout en faisant son propre chemin
vers la liberté. Il finit lui aussi par devenir totalement adulte en se
détachant de son amour d’enfance. C’est cela que signifie le plan final,
l’ouverture vers l’océan. Devenir adulte n’est pas de voir disparaître sa
croyance en la magie des choses mais comprendre que celle-ci ne dure pas
toujours et que l’on ne peut pas constamment revenir sur ses pas. Ellis
comprend qu’il ne pourra pas trouver l’amour avec n’importe qui et qu’il ne
pourra pas vivre toute sa vie au même endroit.
L’histoire est magnifique comme
celle de
La Nuit du chasseur, référence
évidente, visible dans un plan sous-marin montrant Mud flottant silencieusement
dans l’eau. Le pouvoir du récit d’aventure tient à sa dimension fantastique et
symbolique qui crée une atmosphère singulière et enrichit son propos. Si l’on
peut apprécier le film par son premier degré, par les péripéties que fait
éclater cette rencontre entre deux enfants et un mystérieux hors-la-loi, c’est
par la force des thèmes embrassés et la complexité de leur articulation dans le
récit que
Mud acquiert toute son
ampleur. Jeff Nichols nous parle de la fin de l’enfance, de l’adolescence,
lorsque celui qui pense que tout est parfait a l’impression d’avoir été trahi
par les adultes sur ce qu’est la vérité du monde, lorsque celui-ci commence à
vouloir vivre sa propre histoire mais ne peut se résoudre à abandonner une
partie de ses rêves, une partie de son insouciance. Ellis voit ses parents qui
ne s’aiment plus, la maison où il a grandi va être détruite, la fille qu’il
aimait lui a laissé croire qu’elle l’appréciait aussi quand en réalité elle se
fichait de lui, il voudrait s’en aller en bateau avec son ami, quand il
comprend que l’amour de Mud qu’il croyait parfait est impossible il ne peut que
s’écrier : « Vous avez baissé les bras, comme tout le
monde ! » Que dire de plus ? Il a raison, mais pourtant ce
n’était pas possible autrement. Ellis n’apprend pas à être raisonnable et
réaliste, à avoir les pieds sur terre comme on dit, il apprend, et c’est ce
qu’il y a de plus dur, à vivre avec ses échecs, ses déceptions, ses drames.
Le
film évoque ce moment précis où l’enfant devient adulte à travers un récit très
symbolique. Disons que le fleuve représente l’enfance, les rives sont bordées
de dangers et de mystères attrayants (Mud, l’étrange voisin d’Ellis Tom
Blankenship, les serpents, le bateau dans l’arbre) et il s’ouvre sur de
nombreux chemins différents. La vie s’écoule paisiblement mais le danger
guette, il faut faire attention. La ville sera pour Ellis l’univers des adultes
où il comprendra l’existence des liens sociaux et des différentes possibilités
qui s’offrent à lui pour vivre sa propre histoire. Le réalisateur puise de ce
symbolisme un lyrisme doux et romantique, une sorte de pureté, qui s’exprime
formellement par des plans aux mouvements très lents et très fluides et
s’articulant entre eux de manière très précise et très écrite, des plans
extrêmement beaux d’une nature magique et remplie de trésors. Cette pureté,
c’est celle propre à l’enfance, à l’âme de l’enfance. Mais celle-ci finit
toujours à un moment ou à un autre par s’évaporer. Car on se rend forcément
compte un jour de la réalité de ce qu’est l’humanité sur Terre, que le pouvoir de
la volonté n’existe pas. Ellis ne le sait pas encore mais un beau matin il se réveillera
et il saura. Il saura qu’il est un homme.