Mud

Verdict: Chef D’oeuvre

par: Guillaume Jardry



UN BEAU MATIN 

Un beau matin, sur les rives du Mississippi en Arkansas, deux gamins s’en vont en canot vers l’une des nombreuses îles que parcourt le fleuve. Que voient-ils là-bas ? Un bateau, perché sur un arbre. Mais comment a-t-il bien pu arriver là-haut ? Par une tempête ? Par magie ? Peu importe, ils le voient c’est tout ce qui compte.




Mud on l’aura compris est un récit sur l’enfance. Ellis, l’un des deux gosses, a besoin de voir quelque chose fonctionner, de croire en quelque chose, à l’amour, au monde. Cela fait défaut autour de lui, dans son entourage. Voir ce bateau, c’est voir que la magie existe. Sur cette île qu’il visite avec son ami Neckbone, Ellis rencontre un étrange personnage, sorti de nulle part avec le bateau et se faisant appeler Mud. Matthew McConaughey, dans ce rôle, rappelle celui de Killer Joe, pour son apparence stylisée (Mud a une croix sous le talon de sa chaussure et un œil de loup cousu dans la manche de sa chemise) et son aura inquiétante. Mais cette fois-ci, l’acteur n’a pas revêtu les vêtements du diable. Mud est celui qui permettra à Ellis son passage à l’âge adulte, tout en faisant son propre chemin vers la liberté. Il finit lui aussi par devenir totalement adulte en se détachant de son amour d’enfance. C’est cela que signifie le plan final, l’ouverture vers l’océan. Devenir adulte n’est pas de voir disparaître sa croyance en la magie des choses mais comprendre que celle-ci ne dure pas toujours et que l’on ne peut pas constamment revenir sur ses pas. Ellis comprend qu’il ne pourra pas trouver l’amour avec n’importe qui et qu’il ne pourra pas vivre toute sa vie au même endroit.



L’histoire est magnifique comme celle de La Nuit du chasseur, référence évidente, visible dans un plan sous-marin montrant Mud flottant silencieusement dans l’eau. Le pouvoir du récit d’aventure tient à sa dimension fantastique et symbolique qui crée une atmosphère singulière et enrichit son propos. Si l’on peut apprécier le film par son premier degré, par les péripéties que fait éclater cette rencontre entre deux enfants et un mystérieux hors-la-loi, c’est par la force des thèmes embrassés et la complexité de leur articulation dans le récit que Mud acquiert toute son ampleur. Jeff Nichols nous parle de la fin de l’enfance, de l’adolescence, lorsque celui qui pense que tout est parfait a l’impression d’avoir été trahi par les adultes sur ce qu’est la vérité du monde, lorsque celui-ci commence à vouloir vivre sa propre histoire mais ne peut se résoudre à abandonner une partie de ses rêves, une partie de son insouciance. Ellis voit ses parents qui ne s’aiment plus, la maison où il a grandi va être détruite, la fille qu’il aimait lui a laissé croire qu’elle l’appréciait aussi quand en réalité elle se fichait de lui, il voudrait s’en aller en bateau avec son ami, quand il comprend que l’amour de Mud qu’il croyait parfait est impossible il ne peut que s’écrier : « Vous avez baissé les bras, comme tout le monde ! » Que dire de plus ? Il a raison, mais pourtant ce n’était pas possible autrement. Ellis n’apprend pas à être raisonnable et réaliste, à avoir les pieds sur terre comme on dit, il apprend, et c’est ce qu’il y a de plus dur, à vivre avec ses échecs, ses déceptions, ses drames.

           Le film évoque ce moment précis où l’enfant devient adulte à travers un récit très symbolique. Disons que le fleuve représente l’enfance, les rives sont bordées de dangers et de mystères attrayants (Mud, l’étrange voisin d’Ellis Tom Blankenship, les serpents, le bateau dans l’arbre) et il s’ouvre sur de nombreux chemins différents. La vie s’écoule paisiblement mais le danger guette, il faut faire attention. La ville sera pour Ellis l’univers des adultes où il comprendra l’existence des liens sociaux et des différentes possibilités qui s’offrent à lui pour vivre sa propre histoire. Le réalisateur puise de ce symbolisme un lyrisme doux et romantique, une sorte de pureté, qui s’exprime formellement par des plans aux mouvements très lents et très fluides et s’articulant entre eux de manière très précise et très écrite, des plans extrêmement beaux d’une nature magique et remplie de trésors. Cette pureté, c’est celle propre à l’enfance, à l’âme de l’enfance. Mais celle-ci finit toujours à un moment ou à un autre par s’évaporer. Car on se rend forcément compte un jour de la réalité de ce qu’est l’humanité sur Terre, que le pouvoir de la volonté n’existe pas. Ellis ne le sait pas encore mais un beau matin il se réveillera et il saura. Il saura qu’il est un homme.