Peu de cinéastes sont assez considérés pour que chacun de leurs films soient considérés comme un événement. Christopher Nolan est de ceux-là. Et Interstellar est de ces films-événements.
Interstellar Titre original : Interstellar
USA, 2014
Réalisateur : Christopher Nolan
Acteurs : Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Michael Caine, John Lithgow, Jessica Chastain, Casey Affleck, Matt Damon, Wes Bentley, Topher Grace, Ellen Burstyn, William Devane
Musique de : Hans Zimmer
Durée : 2h50
L’histoire Sur Terre, la poussière a rendu les cultures difficiles, et la race humaine semble condamnée. Son seul espoir de survie est dans l’espace.
La critique Le moins qu’on puisse dire, c’est que Christopher Nolan ne manque pas d’ambition avec ce film ! Presque 3 heures pour nous raconter la quête de la race humaine pour sa survie dans les étoiles, rien que ça. Et le fait est qu’il n’est pas passé loin de ce film mythique qu’il souhaitait sans doute faire. Ce qui frappe d’abord, c’est le soin apporté à la grande Histoire que le film veut porter. Sans s’encombrer d’une introduction explicative, on va vite comprendre ce monde désolé où la nourriture s’est faite rare (mais apparemment pas l’essence, un peu bizarre quand même), où la poussière enveloppe l’horizon, et où la société humaine est redevenue agricole. De la SF sans aucune technologie vraiment fiction, c’est très fort. L’exposition prend peut-être un peu trop son temps, mais on est bien plongé dans ce monde, on est aussi motivé et sensibilisé que le héros pour essayer de sauver la Terre. Jusqu’ici, tout va bien.
Et arrive la partie spatiale. Et dans l’ensemble, tout va toujours bien. Même si le film est grevé de trois défauts importants que nous verrons après, il faut lui reconnaître une tenue exemplaire, un scénario au cordeau qui, si on lui passe les idées scientifiques un peu incertaines, est un modèle d’originalité, d’inventivité, et aussi de logique dans son déroulement. Les motivations des personnages, leurs discussions sur la démarche d’exploration, les échanges avec la Terre, tout est très juste, parfois touchant, et en tout cas, accroche le spectateur qui ne décroche pas de l’histoire. On aura aussi quelques belles scènes d’action extrêmement intenses, magnifiées par les enjeux de l’histoire, et même parfois décuplées par des facteurs temporels qui tiennent la route (oui, je n’en dit pas trop, mais près d’un trou noir…). Les décors et mondes visités sont superbes, les images flattent la rétine. Le scénario réserve même quelques rebondissements bien vus et pas trop attendus, et je crois qu’en fait, le plus beau compliment qu’on puisse lui faire, c’est qu’on dirait une histoire vraie. Côté acteurs, tout le monde est à peu près bien dans son rôle, sans énorme performance non plus, mais les personnages sont suffisamment bien écrits pour qu’on y croie, et puis, quand même, regardez le casting, y a pas un faux pas ! Quant à la musique, même si parfois elle joue un peu trop fort, elle est plus organique que mélodique, nous prenant aux tripes pendant les scènes d’action ou de suspense.
Et alors, qu’est-ce qui cloche dans ce film pour le moment irréprochable ? Pourtant on était complètement pris dans l’histoire, et à part la longueur peut-être un peu exagérée, qu’est-ce qui ne va pas ? Eh bien, justement, ce qui ne va pas, ce sont des erreurs qui nous font sortir de l’histoire et du film. Et vu le soin apporté à l’ambiance, c’est limite criminel de rater cette immersion. J’ai noté trois défauts vraiment dommageables. Le moins gênant, mais quand même, ce sont les robots. OK, c’est super original d’avoir des robots rectangles. Sauf que c’est doublement pas crédible. Déjà, scientifiquement, ça n’a pas de sens, quel intérêt qu’ils soient rectangles ? Et surtout, du fait de cette forme improbable, leur animation n’est pas crédible. Qu’ils se déplacent en bougeant les « bras » et les « pieds » (c’est-à-dire les côtés du rectangle puis le milieu) alternativement, ou, pire, quand ils ressemblent à quatre lamelles qui ondulent, on dirait la Chose dans la Famille Addams, oui, la main coupée qui galope dans les couloirs. En plus, ils ont été pourvus d’une fois vraiment trop humaine dans le son et les intonations, ce qui fait qu’on ne croit pas une seule seconde que ce sont des vrais robots. Côté immersion, autant les vaisseaux sont réussis, autant les robots sont un échec. Le deuxième point raté, c’est la fin. Sans vous en dévoiler quoi que ce soit, disons qu’elle comporte d’abord un passage très fumeux, même si très graphiquement joli. Ça dénote un peu avec tout le côté réaliste qu’il y avait avant, mais on aurait pu passer outre, si la deuxième partie de la fin n’avait pas été complètement à côté de la plaque, c’est-à-dire totalement improbable par rapport au reste du film. Sérieux, j’ai cru que c’était une feinte, un rêve, que sais-je, mais non, c’était bien là. Vraiment dommage.
Mais il reste le pire défaut, celui qui va fusiller l’immersion spatiale de la deuxième moitié du film. Après nous avoir complètement embarqués dans le vaisseau, au-delà du vortex, à compter l’oxygène et le carburant restant avec les rescapés… le film repasse sur Terre. Pour nous faire vivre en parallèle l’action dans l’espace et l’action sur Terre, alors qu’il n’y a absolument aucune justification à faire coexister ces deux histoires. Déjà, je pense que le film aurait eu infiniment plus de puissance si on n’était pas revenu voir ce qui se passe sur Terre, et si on avait continué à suivre uniquement ce que vit le héros (ce qui était le cas jusque-là). On avait les news de la Terre par les messages envoyés au vaisseau, ça suffisait largement. Mais en plus, de mêler les deux scènes, pour une scène sur Terre sans grand intérêt réel, cela fusille totalement le côté claustrophobie d’une scène spatiale qui aurait été sans cela absolument géniale. J’ai du mal à comprendre comment un réalisateur du talent de Nolan a pu ne pas voir cela, mais c’est de mon point de vue une erreur narrative énorme, qui a suffi à me faire me désoler pendant un tiers du film.
Au final, quel dommage. On avait de quoi avoir un film de SF mémorable et remarquable, avec une histoire originale et traitée de façon réaliste et dans le respect des règles de la SF, ça aurait pu, ça aurait dû, être un grand film. Comment en est-on arrivé à ces erreurs, je ne sais pas, mais je les regrette vraiment, car elles gâchent le film assez nettement. Pas au point d’en faire quelque chose de vraiment raté, mais le potentiel était tellement élevé… Peut-être ce qui m’a gêné ne vous rebutera pas, et à ce moment-là vous pourrez profiter d’un film rare. Mais moi je reste triste de ce potentiel gâché.
À voir : pour tout ce qu’il y a d’excellent, si la partie ratée ne vous gêne pas
Le score presque objectif : 7/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : +2, tentez-le quand même, si vous voyez tout ce qui m’a plu mais pas ce qui m’a déplu, ça va vous plaire !
Sébastien Keromen