Les CowBoys
Sortie:
25/11/2015
Pays:
France
Genre:
Durée:
105 Min
Réalisateur(s):
Acteurs:

Les CowBoys

Verdict: Chef D’oeuvre

par: Emmanuel Galais

Une grande prairie, un rassemblement country western quelque part dans l’est de la France. Alain est l’un des piliers de cette communauté. Il danse avec Kelly, sa fille de 16 ans sous l’œil attendri de sa femme et de leur jeune fils Kid. Mais ce jour-là Kelly disparaît. La vie de la famille s’effondre. Alain n’aura alors de cesse que de chercher sa fille, au prix de l’amour des siens et de tout ce qu’il possédait. Le voilà projeté dans le fracas du monde. Un monde en plein bouleversement où son seul soutien sera désormais Kid, son fils, qui lui a sacrifié sa jeunesse, et qu’il traîne avec lui dans cette quête sans fin.

Certains réalisateurs se laissent entraîner par des sujets et au fil du temps, par le biais des actualités ou des rencontres et des écrits vont modifier leur point de vue ou l’angle d’attaque de leur histoire afin qu’elle corresponde plus à l’humeur du temps, aux faits des médias et aux aspirations des maux de la société. Pour sa première réalisation, le scénariste de Jacques Audiard, Thomas Bidegain (un Prophète) ne change pas d’un iota l’angle de narration de son sujet, voir même se sent conforté par une actualité qui ne semble que plus réelle à mesure que le film se dévoile devant nous. Car il faut bien le dire, l’histoire que traite le scénariste devenu réalisateur raisonne un peu plus dans nos esprits : Le départ pour le Djihad.

Mais toute l’intelligence du scénario est de démarrer son récit dans une société qui ne connait pas encore ce mot Djihad, qui n’a pas  conscience de ce danger naissant qui prendra la forme d’un personnage sombre après l’effondrement de deux tours jumelles dans un pays qui fait rêver par ses grands espaces, ses danses de groupe, sa musique Folklorique et ses « Cowboys ». Mais pour le scénariste, son Cowboy c’est avant tout Alain, un père de famille qui n’a qu’une obsession : retrouver sa fille disparue. Au fil de sa quête, il va se couper du monde, de sa famille, perdre tout ce qui le rendait vivant et entraîner son fils, jusqu’à le priver d’une certaine manière de sa jeunesse. Le réalisateur le décrit comme un homme antipathique, désagréable et définitivement fermé aux autres, pour ma part je l’ai trouvé attachant, par cette obsession qu’il a de vouloir retrouver sa fille sans se soucier un seul instant de l’histoire qui est en train de se jouer autour d’eux, autour d’elle, de cette société dont le visage va radicalement changer, quelques années plus tard. 

Pour coller à son propos, le réalisateur garde ce point de vue, à la fois naïf des personnages, mais également celui de la société des années 90 à 2010 qui n’a aucune conscience du virage extrémiste que vont prendre les événements et qui vont changer pour un temps durable le face à face entre l’occident et le Moyen Orient. Jamais dans la caricature, encore moins dans le discours revendicatif, Thomas Bidegain, nous plonge dans la quête aveugle d’une famille pour retrouver l’une des leurs. Avec une certaine retenue, sans pour autant s’interdire la moindre réflexion, le réalisateur garde une certaine distance avec un discours politique trop facile, et garde comme une temple inviolable ce point de vue des protagonistes qui avancent dans des univers qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne connaissent pas et se laissent évoluer en bien ou en mal, enfermés dans leur quête permanente. Du coup, le film se pose la question de l’obsession, mais ne se laisse pas piéger par la question religieuse ou terroriste. On découvre au fil du film, qui se passe sur plusieurs années, le monde qui découvre le mal à travers des actes terroristes, sans que jamais cela ne devienne le sujet du film. Il devient au contraire une toile de fond qui permet chaque fois un peu plus d’enfermer les personnages dans leur obsession. Chaque acte résonne comme un besoin de savoir ce qu’est devenue la jeune fille.

Et pour servir ce scénario particulièrement intelligent, le réalisateur film en scope, son film comme un western, avec des décors de grandes beauté, qui donne une plus grande sensation de voir ses personnages noyés dans une aventure qui les dépasses et dans laquelle chaque acte à une répercussion qu’ils ne cessent de tenter, avec plus ou moins de réussite, de maîtriser. Du coup, le film évolue dans une atmosphère à la fois pesante et pourtant très oxygénée. Le réalisateur s’est offert aussi les services d’un casting d’une réelle intensité, à commencer par François Damiens (La famille Bélier) qui ne cesse de se renouveler et de se mettre en danger de film en film. Ici le comédien joue un personnage mutique, prisonnier de son obsession, antipathique et brutal dans son verbe et dans ses gestes. Pourtant, par une composition puissante, il parvient avec une justesse, que seuls possèdent les grands et les instinctifs, à donner une humanité à son personnage. Sa brutalité est évidente, son manque d’intérêt pour les autres aussi, mais au-delà d’une caricature rectiligne, on voit poindre l’image de cet homme obstiné à retrouver sa fille, sans forcément vouloir comprendre, simplement la retrouver, même s’il doit y payer le prix fort.

Face à lui, Certainement, la révélation masculine de l’année : Finnegan Oldfield (Mineur 27). Le jeune comédien est marquant par une composition sobre et complexe, dans laquelle tout est à la fois calculé et instinctif. Profond dans son mutisme, puissant dans ses non-dits, le comédien rayonne à l’écran et se révèle incroyable en fils impacté et hanté par obsession de son père. Avec une subtilité remarquable, Finnegan fait passer un grand nombre de message sans pour autant dire le moindre mot, comme lors de la scène finale, dont la mise en scène est brillante d’une conclusion maîtrisée. Un acteur assurément à suivre dans les prochains mois et dont on est en capacité d’attendre de grandes choses.

Pour finir, « Les Cowboys » n’est pas à proprement un film coup de poing sur un sujet d’actualité, c’est au contraire, un film d’une maîtrise remarquable qui explore les traumas d’une famille dont la fille part subitement pour une vie qu’elle ne leur autorise pas à connaitre. En toile de fond le Djihad apparaît comme un décor, d’un western moderne où les Cowboys luttent contre de nouveaux indiens, mais où les enjeux ne sont plus les mêmes, et dont les contours sont suffisamment obscurs pour être marquant. Thomas Bidegain signe un film touchant et  intelligent, porté par un casting magnifiquement inspiré.