CHEZ NOUS

Verdict: Très Bon

par: Charly Halper



Comme à chaque fois qu'un film s'intéresse à ce parti (d'extrême-droite), leurs partisans mais surtout représentants et élus se mettent à crier à tout va au complot -ou presque- mais surtout à une (très) bonne synchronisation avec de futures élections proches.
En témoigne les récentes déclarations de M. Florian Philippot, numéro 2 du FN, qui qualifie ce film d'« absolument inadmissible » parmi tant d'autres conneries de leur cru...

Après « Féroce », le film de fiction du documentariste Gilles de Maistre s'intéressant à travers la vengeance d'un jeune Français d'origine maghrébine (Samy Nacéri) aux petits arrangements en coulisses d'un système politique et le fonctionnement interne d'un parti (la fictive Ligue Patriotique), sorti quatre jours avant les élections présidentielles de 2002, et après « Un Français », film de l'artiste Diastème, sorti six mois avant les élections régionales de 2015
, mais qui plus que l'histoire d'un skinhead était celle d'un homme, un Français (Alban Lenoir), qui se débarrasse de la violence et de la haine qu'il a en lui à travers un portrait de vingt années de la France, cette France qui avant défilait contre l'extrême-droite et aujourd'hui défile pour- ou presque- le réalisateur Belge Lucas Belvaux (venu faire sa carrière cinématographique en France depuis 1979) pose, donc, à son tour, son œil social et engagé sur ce parti qu'est le Front National.

Et si à aucun moment, effectivement, le nom de ce parti d'extrême-droite hexagonal (fondé en 1972 par d'anciens étudiants néofascistes associés à corporatistes poujadistes, survivants pétainistes nostalgiques de Vichy, et une frange bien plus extrême de néo-nazis) n'est cité, même le plus stupide spectateur ne pourra reconnaître dans ce Bloc Identitaire fictif qu'un avatar cinématographique de ce Front national pour l'unité française (de son précédent nom complet) qui, année après année et élections après élections, s'est inscrit toujours plus profondément dans le portrait national français -quitte à en défigurer le beau visage plein de mixité de cette belle Marianne que chantait Michel Delpech, par exemple.
Et encore plus avec une Catherine Jacob qui, à soixante ans, a accepté de se retrouver avec un carré blond quasi similaire à celui de la charismatique et médiatique Marine Le Pen, héritière familiale et « parricide » politique du leader historique de ce FN, pour se retrouver dans les chics et élégantes tenues parisianistes de cette chef de parti -que l'on peut mettre au pluriel, entre ce FN héréditaire et ce micro-parti RBM (Rassemblement Bleu Marine), mouvement dit pour tous les patriotes amoureux de la France.

Mais, pourtant ce n'est pas cette Césarisée Meilleur Espoir Féminin (il y a près de trente ans) Marie-Thérèse d’Étienne Chatiliez, je vous le jure, qui se retrouve au cœur de cette histoire écrite à deux mains par le scénariste et réalisateur, Lucas Belvaux, et l'auteur et romancier normand Jérôme Leroy, qui (après un quart de siècle de romans, nouvelles, poèmes et un Prix du roman policier francophone Michel-Lebrun en 2012 pour son « Bloc » qui mettait en scène un parti d’extrême droite arrivant au pouvoir) co-signe là son premier scénario cinématographique : désireux d'être épaulé par un spécialiste du sujet et parce que du propre aveu de Lucas Belvaux (qui réalise là le premier film qu'il n'aura pas écrit entièrement seul) l'envie de traiter de ce sujet de l'extrémisme politique lui serait venue après la découverte de « Le Bloc » de Jérôme Leroy, aussi caricaturale puisse paraître cette fiction aux yeux de certains (ou selon leurs encartement et endoctrinement), « Chez Nous » peut pourtant se targuer d'être le plus précis possible. Et on parle bien de précision, et non de fidélité, même si tout ce qui est décrit (ou décrié) semble le plus véridique possible.

Mais qu'en est-il ? Quelle est donc l'histoire de ce film que Steeve Briois, le maire FN depuis 2014 de cette ville des Hauts-de-France marquée par son passé minier et ouvrier d’Hénin-Beaumont (née des fusions d'Hénin-Liétard et de Beaumont-en-Artois en 1971) et qui devient dans ces longues 117 minutes la fictive Hénard (contraction d'Hénin-Liétard), critique cinématographique averti qualifie de « sacré navet en perspective » ?



Sympathique infirmière à domicile, appréciée et aimée de tous (ses patients, ses amis et ses voisins qui vivent comme elle dans ces petites maisons typiques de briques rouges du bassin minier), Pauline Duhez (Émilie Dequenne), dévouée mère séparée de deux enfants, confrontée quotidiennement à la misère sociale et affective, et dont l'empathie la fait s'attacher à toutes ces personnes (quelques soient leurs origines), a tout de la candidate politique parfaite !
Et ce même si elle est fille d'un vindicatif délégué du personnel communiste retraité se mourant, reconnaît n'avoir jamais voté ou va voir réapparaître dans sa vie amoureuse inexistante un premier amour adolescent qui pourrait avoir bien trop de secrets plus que de cadavres dans ses placards.
C'est pourtant elle que le « bon » Dr. Philippe Berthier (André Dussolier), médecin traitant de sa famille depuis qu'un cancer a condamné sa mère il y a quinze ans et professionnel avec qui elle collabore régulièrement mais surtout reconnu représentant local du Bloc Identitaire, parti de « fascistes », va choisir et proposer en hauts lieux à Paris aux dirigeants du parti, la blonde héritière Agnès Dorgelle (Catherine Jacob) qui avec son parti -Rassemblement National Populaire (RNP)- veut se débarrasser de l'image sulfureuse de son chef politique de père, et son second Dominique Orsini (Michel Ferracci), pour être leur jeune et belle tête de liste à Hénard aux prochaines élections...


Sans être le plus abruti des spectateurs, même si leur voix compte autant que n'importe quelle autre comme le dit ce vil et séducteur chasseur de têtes du Bloc de Dr. Berthier (le charmant Savoyard plusieurs fois césarisé de 70 ans, à la voix que l'on re-connait tous, « ...Amélie Poulain » et autres documentaires, André Dussolier, à l'image de sa carrière -entre films populaires et films d'auteurs- parvenant parfaitement à nous faire tomber dans les ressorts occultes, menaçants et voire criminels d'un parti près à tout pour la victoire avec son physique sympathique et ses charmantes œillades séductrices), il est aisé de comprendre que pour ce dixième film, le réalisateur d’Outre-Quiévrain et voisin, Lucas Belvaux, a cherché à y démont(r)er les rouages d'une machine politique en marche pour des élections et avec un seul objectif, la victoire tant attendue : candidat(e) local(e) connu(e) et apprécié(e) de ses concitoyens, charmé(e) et manipulé(e) par de belles paroles et de beaux discours qu'il (elle) aimerait et attendait d'entendre pour aller finir en tête de gondole d'un parti qui n'en veut que sa bien belle et bonne image, mais surtout pas entendre sa voix.

Et non, je ne vous aurai pas spoilé le film, car derrière ses grosses ficelles (même si l'on ne s'attend forcément à ce que certains prennent encore la défense ou s'inquiètent de l'état de santé de cette nouvelle fasciste) et sa galerie de personnages stéréotypes à la limite de la caricature (ce séducteur médecin tête de file locale du parti préférant toujours rester dans l'ombre et un ex-membre du parti originel, en exclu car trop intègre ou plutôt intégriste et extrémiste, qui flirte avec des groupuscules néo-nazis et notre candide personnage principale, l'image virginale du Bloc/RNP, entoure donc celle-ci, parmi d'autres, dont l'inévitable anti-faf' qui revendique ses origines étrangères et ne supporte pas la moindre remarque raciste -ce qui est honorable), ce film aurait pu aussi bien (s)aborder un parti de Gauche ou de Droite... si Lucas Belvaux n'avait pas choisi aussi et surtout d'y aborder cette médiatique dédiabolisation (de façade?) qui a frappé le FN en 2015, après 23 ans de démarches et tentatives, et la volonté dès lors de Marine Le Pen et son second énarque issu d'HEC Florian Philippot de se racheter une image bien moins fascisante et raciste (quitte à laver son linge sale familial en public : excluant de son propre parti, le père, Jean-Marie Le Pen -évoqué plusieurs fois à travers ce personnage en off de Georges Dorgelle) auprès du grand public pour prétendre devenir un parti de contestation et de travailleurs opprimés et mécontents d'un système présenté comme corrompu : nettoyage interne au karcher bien évidemment trop beau pour être vrai quand ces affaires actuelles qui les rattrapent ne font que les mettre dans le même panier que ces autres partis qu'ils aiment à montrer d'un doigt accusateur.
Des affaires, des petits mensonges (entre « amis de trente ans ») et autres dossiers que chacun garde dans ses tiroirs avec tout le danger que cela implique que Lucas Belvaux (et Jérôme Leroy) évoque ici plus ou moins rapidement, mais surtout un bon gros coup de polish brillant et à la limite de l'illumination de bonimenteurs et autres démarcheurs avec ces candidats bien plus présentables que ces précédents racistes et fascistes dont des écarts publics ou sur les réseaux sociaux n'ont fait que freiner l'ascension d'un parti, avec un relooking « clonesque » à la limite du pitoyable de visages présentables (ça changera des faciès patibulaires de certains anciens du GUD que leurs affiches ont pu exhiber) et avec ces cours de sémantique et de vocabulaire en public qui leur permettent (au Bloc par l'entremise de son micro-parti RNP) de retravailler leur image, « alors qu'ils restent sur un fond idéologique très ancien » comme le répète le réalisateur qui se sera longtemps défendu d'avoir produit un film anti-FN, souhaitant plutôt dénoncer les doubles discours adoptés par certains partis politiques et décrypter le discours et le fonctionnement d'un parti d’extrême droite. Ça lui paraissait important de raconter ça, de montrer les mécanismes, comment le discours change en surface, mais sans changer sur le fond.

Ce dernier tenant à rappeler que « 28 % des élus FN aux dernières municipales ont démissionné. Cela ne s’est jamais vu dans l’histoire politique française. Il y a une manipulation, évidemment » !

Film d'utilité publique, comme peuvent l'être ces « Féroce » et « Un Français » cités en ouverture, plutôt qu'une véritable polémique (prétendument financée par des fonds d'aide majoritairement hexagonaux, donc nos impôts et de fait les contribuables, soit beaucoup d’électeurs de son parti comme le braient Florian Philippot ou Nicolas Bay, « Chez Nous » est, faut-il lui rappeler, à majorité produit par des fonds belges, en sus de la petite maison de production, Synecdoche : France 3 Cinéma étant le seul élément français des six co-producteurs -dont la RTBF- parmi des supports et participations aussi bien français que belge, le Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles et les multiples Tax Shelter, niches fiscales du Code des impôts sur le revenu belges, étant bien plus présents que des sociétés privées françaises : encore un mensonge et une manipulation pour se victimiser de ce parti), malgré toutes ses longueurs, une fois passée un première partie prenante (jusqu'à l'acceptation de la candide Pauline Duhez qu'incarne une renaissante Émilie Dequenne qui retrouve le réalisateur après son « Pas son genre » de 2014 dans sa filmographie d'auteurs, dans laquelle ce « Pacte des Loups » de Gans reste une incartade grand public de genre), mais en sachant encore réserver quelques surprises scénaristiques, « Chez Nous », témoin de la déliquescence politique de notre pays, de l'abandon idéologique d'une partie de ses habitants, d'un retour de plus en plus assumé à des valeurs haineuses vindicatives, et d'un dédouanement servile facile quitte à céder aux appels nationalistes de sirènes manipulatrices, reste un film à recommander. A voir. Pour savoir. Pour comprendre.
Un film social qui, sans arriver aux niveaux, je le regrette, de réalisateurs sociaux comme le français Pierre Jolivet ou le britannique Ken Loach, peut réussir pourtant à bien vous plonger dans le cœur de cette bête immonde de Bertholt Brecht, vous dévoilant ses entrailles, ses méthodes de recrutement, tenter de vous faire en comprendre le fonctionnement intellectuel et son habile retournement de tête, mais surtout révéler comment on y est encarter, endoctriner voire embrigader (avec le rapprochement de Stéphane -un Guillaume Gouix, futur Alain Prost de Julien Leclercq, qui, comme Alban Lenoir ou Edward Norton dans des rôles de skinhead avant lui, a su se métamorphoser et remodeler son petit corps trapu, non sans oublier d'en conserver l'émotion paradoxalement- auprès de Tom, le fils de Pauline, et ses passes-temps virils et armés, yeark!) avant d'être totalement pris en mains...tels de jolis pantins qui ne voient pas ces fils qu'on agite dans leur dos !

A l'heure où ces sondages que l'on sait pourtant faillibles présentent la véritable Agnès Dorgelle en tête et qu'à travers le monde, différents dirigeants semblent décider à nous jouer un très mauvais remake du « Village des Damnés » avec toutes ces têtes blondes -souriantes mais vite hargneuses- de partis populistes qui accèdent aux commandes de pays et grandes puissances, il est bien loin le temps (cinématographique) où Jean-Pierre Darroussin voyait l'un de ses personnages dire qu'il avait voté, même une seule fois, FN (« Marius et Jeannette », 1997) et où les électeurs et sympathisants de ce parti de la haine n'étaient présentés que comme de brutaux joueurs de rugby alcoolisés après une partouze, allant coller des affiches avant quelques ratonnades (« Les Nuits Fauves », 1992) : ainsi, en 75 ans, la peste brune a su survivre et continuer incidemment à se répandre, se propager et contaminer nos idéaux, sans que personne ou peu ne retienne ce qui s'est passé il y a 84 ans (un 30 janvier 1933, à Berlin), et me fait effectivement me souvenir et utiliser ce titre parmi tant d'autres des rappeurs bretons de Manau, « L'avenir est un long passé », dans lequel sonne encore la phrase « après le nom d'Hitler, j'ai entendu celui du Front... ». Et après celui du Front, j'ai entendu le nom du Bloc ?
Une boucle qui nous dit que rien n'avance ou que l'on tourne en rond (ou presque), que tout sera reparti de zéro (sans chercher à spoiler quoique ce soit), dans le montage de Lucas Belvaux et Ludo Troch, son monteur, avec ces deux génériques -d'intro' et de fin- identiques, nous présentant ces rues vides et tristes typiques des Hauts-de-France de jour et puis de nuit jusqu'au jour, mais surtout deux très beaux plans d'artères autoroutières qui un coup fuient toutes les deux vers les extrémités de l'écran et se superposent, se croisent dans l'autre, mais toujours aussi vides : comme les vies vides de sens de ces protagonistes qui parties à des opposés vont finalement se croiser, s’enchevêtrer, se servir l'une de l'autre...

Pour conclure, loin de la polémique qu'aurait aimé encore un peu plus médiatisé le FN, « Chez Nous » de Lucas Belvaux, sorti ce 22 février 2017, est un film à aller voir pour répondre aux tweets insultants de certains dignitaires indignés du parti, à la fois pour en savoir un peu plus sur eux (puisque tout cela n'est qu'un écho fictionnel de notre triste réalité) et leur prouver que leurs critiques (sans avoir vu le film) sont loin de l'avis du Président François Hollande : « un bon film [qui réussit] à filmer l'embrigadement et la manière dont [le Bloc] utilise les arguments qui font mouches ». Et parce qu'on ne sait jamais combien de temps restent à l'affiche de tels films...

Pourquoi aller voir ce film ? Un travail minutieux et détaillé de recherches quasi documentaire sur les fonctionnements d'un parti (quel qu'il soit) et une mise au grand jour, quitte à en être effrayé et avoir peur, des mensonges et manipulations d'un parti extrémiste et nationaliste (plus particulièrement). Pour savoir d'où vient cette haine insidieuse : héritage familial, manipulation éloquente, fascination charismatique, récupération tactique, auto-endoctrinement via les internet, etc.
Ce qui pourrait vous faire reculer (mais vous serez prévenu): des personnages trop stéréotypés mais purement cinématographiques, et un film qui souffre de longueurs après un très bon début aussi lent soit-il pour la mise en place, avec quelques grosses ficelles scénaristiques... mais qui n'en reste néanmoins un très bon film -puissant et qui résonnera encore après à vos oreilles et gravé sur vos rétines.