Londres, années 70, en plein mouvement punk rock. Escroc pleine de talent, Estella est résolue à se faire un nom dans le milieu de la mode. Elle se lie d’amitié avec deux jeunes vauriens qui apprécient ses compétences d’arnaqueuse et mène avec eux une existence criminelle dans les rues de Londres. Un jour, ses créations se font remarquer par la baronne von Hellman, une grande figure de la mode, terriblement chic et horriblement snob. Mais leur relation va déclencher une série de révélations qui amèneront Estella à se laisser envahir par sa part sombre, au point de donner naissance à l’impitoyable Cruella, une brillante jeune femme assoiffée de mode et de vengeance …
En sortant de la projection de « Cruella », un constat saute tout de suite aux yeux : Le Studio Disney n’est jamais aussi bon que lorsqu’il s’attaque à ses méchants emblématiques. Nous avions pu le constater avec « Maléfique » sous la direction de Robert Stromberg (Le Monde Fantastique d’Oz) en 2014, dans lequel les scénaristes Linda Woolverton (Le Roi Lion) et John Lee Hancock (Le Fondateur) créaient, de toute pièces, une origine à la méchanceté de la méchante la plus sombre de l’univers des classiques du studio. Notamment, un destin brisé par l’avidité et la trahison qui vont pousser la jeune héroïne à vouloir se venger et à ne plus se contrôler. Un choix qui s’avèrera payant puisqu’il prendra le public à revers et l’embarquera dans une aventure où la méchante n’est plus simplement guidée par ses envies de destruction, de mort et de sang, mais plutôt par le besoin de justice.
Avec « Cruella », même constat ! Sous la direction de Craig Gillespie, le réalisateur de « I, Tonya » en 2017, la méchante des « 101 Dalmatiens », trouve ici une origine bien différente que celle que nous pouvions imaginer. Et comme dans toutes ces histoires, l’origine du « Méchant » est bien souvent un territoire vierge, rarement exploré, les scénaristes ont eu les coudées franches pour monter de toutes pièces, une intrigue qui puisse expliquer d’où lui vient cette haine envers les chiens tachetés. Et ils s’y sont mis à 5, pour créer à Cruella, une histoire qui tienne la route (6 Si l’on compte le scénario original de Jez Butterworth (Le Mans 66)). Ainsi Tony McNamara (La Favorite), Dana Fox (Home Before Dark), Steve Zissis (The Front Runner), Kelly Marcel (Venom : Let There Be Carnage) et Aline Brosh McKenna (Nouveau Départ) se sont lancés et ont uni leurs efforts pour pouvoir accoucher d’une histoire, tout à la fois solide et divertissante sans sombrer dans la caricature ou dans la pale copie.
Car, il fallait bien donner au personnage, une origine, un passé, une humanité et surtout la relier aux différents éléments qui ont fait sa célébrité. Et le constat est, encore une fois, sans appel : C’est une véritable réussite. « Cruella » apparait d’abord comme une enfant turbulente, motivée par son goût de l’originalité et de la mode. Soutenue, plus ou moins de force, par sa mère, elle va chercher à laisser éclore son talent et va faire la connaissance de la plus grande styliste de l’époque qui défend jalousement son trône. C’est d’ailleurs dans ce personnage de Baronne que l’on peut reconnaitre le talent de la scénariste Aline Brosh McKenna qui avait brillé avec « Le Diable s’habille en Prada ». Avec une première partie, dans laquelle la jeune Estella cherche sa voie et rencontre par la même occasion ses deux acolytes : Jasper et Horace. Les scénaristes en profitent d’ailleurs pour donner également un peu plus de profondeur et de reliefs à ces deux personnages souvent maltraités dans les versions précédentes des « 101 Dalmatiens », on y découvre un personnage aux antipodes de ce qu'elle deviendra par la suite. Torturée, meurtrie, elle va chercher des réponses à ses questions, tout en subissant les humiliations.
Si l'on peut reprocher à la deuxième partie d’aller un peu trop vite en besogne, particulièrement dans la transformation d’Estella en Cruella, force est de constater que les idées qui fusent tout au long de ce film sont absolument remarquables et viennent compenser ces petites défaillances. Il y a surtout la mise en scène de Craig Gillespie qui dépoussière tout ce qu’avait fait Disney jusque là avec ses adaptations de grands classiques en version Live. « Cruella » fleure bon les influences en tout genre et entre comédie stylisée et cahier des charges imposant d’inclure toutes les références possibles et imaginables à l’histoire de Dodie Smith, le réalisateur parvient à donner une énergie et une cohérence redoutable, ponctuée par une bande son réjouissante où se côtoient : Nina Simone, Nancy Sinatra, les Clash et les Rolling Stones. Sans aucune baisse de rythme, sans discours dégoulinant de guimauve, le passé de Cruella apparait tout en nuance et en espoirs brisés, en blessures personnelles aussi bien intimes que culturelles, ce film porte la méchante la plus « Pop Culture » à un niveau rarement atteint par le Studio.
Evidemment, impossible de ne pas parler de la distribution, qui participe activement à la réussite de ce film. « Cruella » c’est d’abord
Emma Stone qui prend ainsi la place de Glenn Close que l’on pensait indissociable du personnage. L’actrice de « La La Land » (2016) de Damien Chazelle, donne à son personnage toute une palette de sentiments que l’on ne lui connaissait pas et la rend beaucoup plus complexe. Face à elle, il y a d’abord le duo formé par Paul Walter Hauser (Le Cas Richard Jewell) et Joel Fry (Yesterday) qui évite avec brio de tomber dans le piège de la caricature ou de la pale copie des deux compères : Jasper et Horace. Les deux acteurs leur donnent de vraies personnalités et les rendent touchant et définitivement indissociables de leur amie styliste. Et puis bien sûr, il y a la grande, la très grande Emma Thompson (Love Actually) définitivement à l’aise dans n’importe quel rôle, où même dans la caricature, elle parvient à transcender son personnage.
En conclusion, « Cruella » est le premier Blockbuster à ouvrir la valse des films attendus, après la réouverture des cinémas et force est de constater que c’est une véritable réussite. « Cruella » y apparait sensible, méchante, drôle, ambitieuse et terriblement Rock. Le film de Craig Gillespie parvient à éviter tous les pièges et donne à son personnage une histoire solide et bien écrite, associée à une mise en scène dynamique et inspirée. Le Studio est tellement sûr de son coup qu’un deuxième est déjà sur les rails.