A l’apogée de sa gloire, Marcel Pagnol reçoit la commande d’une rédactrice en chef d’un grand magazine féminin pour l’écriture d’un feuilleton littéraire, dans lequel il pourra raconter son enfance, sa Provence, ses premières amours... En rédigeant les premiers feuillets, l’enfant qu’il a été autrefois, le petit Marcel, lui apparaît soudain. Ainsi, ses souvenirs ressurgissent au fil des mots : l’arrivée du cinéma parlant, le premier grand studio de cinéma, son attachement aux acteurs, l'expérience de l’écriture. Le plus grand conteur de tous les temps devient alors le héros de sa propre histoire.
Lorsque l’on parle aux plus jeunes et aux ados du cinéma français d’avant-guerre (Pourtant bien plus influent que celui des Etats-Unis) et d’après-guerre, on trouve souvent dans leur regard une sorte de panique contenue dans l’idée même de parler d’un film en Noir et Blanc avec des acteurs dont on ne connaît même pas le nom et surtout qui est porteur assurément dans leurs têtes d’un ennuie dévastateur. Difficile de parler de Jean Gabin (Quai des Brumes), Louis Jouvet (Drôle de Drame) ou encore Arletty (Hôtel du Nord) et Simone Signoret (Casque d’Or), tout juste de Bourvil (La Grande Vadrouille), de De Funes (Le Gendarme) et de Fernandel (La Vache et le Prisonnier). Alors lorsque l’on aborde les nomes de Pierre Fresnay (L’Assassin habite au 21), Orane Demazis (Fanny) ou encore Raimu (La Femme du Boulanger). Seul Marcel Pagnol, dont les œuvres sont étudiées dans certains programmes arrivent encore à sortir du lot.
Dramaturge, réalisateur, écrivain et académicien, éternel angoissé aura pourtant marqué les générations, par des œuvres qui sentent bon la Provence, la sincérité, mais également une photographie de la société de l’époque où chaque personnage cache une faiblesse ou une fracture qui a bien du mal à se réparer. Rien n’est plus emblématique que la Trilogie Marseillaise (Marius, Fanny et César) dans laquelle les trois personnages en question doivent se battre contre les sentiments contradictoires qui viennent souvent percuter le quotidien. Et puis, il y a aussi « Manon des Sources » où comment l’avidité et l’amour peuvent venir ruiner la vie des personnages, héros d’une petite machination qui aura des conséquences dramatiques. L’écrivain c’est également « La Gloire de mon père », « Le Château de ma mère » et « Le Temps des secrets », où l’auteur se raconte avec délectation et tendresse. C’est d’ailleurs le point de départ du nouveau long métrage de Sylvain Chomet (Les Triplettes de Belleville).
Toujours dans un style rétro, le réalisateur signe un film d’animation qui vient nous présenter Marcel Pagnol, ses rencontres qui ont changé sa vie, Orane Demazis (Angèle) qui partagera sa vie pendant plusieurs années et surtout Raimu (Ces Messieurs de la Santé), grand acteur, immense dans son instinct pour la comédie, génial dans ses envolées et dans ses colères. Le réalisateur, livre, ici, un biopic, à la fois classique, assumé, mais également original par la manière dont il parvient à donner un sens et une dimension propre à cet artiste hors norme, véritable touche à tout, qui parvint à faire naitre une nouvelle manière de s’approprier la culture de son enfance, la beauté de cet accent chantant, refusé, à l’époque, par une société Parisienne soucieuse de conserver les regards sur elle.
« Marcel et Monsieur Pagnol », c’est la confrontation d’un artiste, en plein doute, à celui qu’il était enfant, à ce qu’il a oublié et à cette difficulté qu’il y a à se raconter, à trouver la beauté dans les souvenirs d’enfance souvent biaisés par des sentiments contradictoires. Ce subterfuge permet à Sylvain Chomet de parcourir la vie artistique de Marcel Pagnol en le confrontant à l’une de ses œuvres majeures que fut sa trilogie littéraire : « La Gloire de mon père » (1957), « Le Chateau de ma mère » (1958) et « Le Temps des Secrets » (1960). Un exercice qui fut difficile, mais qui lui permit avec un peu de romanesque et une certaine espièglerie de retourner dans la Provence de son enfance. Et puis, pour conclure, je dirais que le réalisateur a l’excellente idée de glisser ça et là des extraits d’œuvres majeures du dramaturge, cinéaste, écrivain et Académicien.