Caché
Sortie:
05/10/2005
Pays:
France
Genre:
Durée:
1h55 Min
Réalisateur(s):
Acteurs:

Caché

par: Justine Denis



Caché, de Michael Haneke

Avec Daniel Auteuil, Juliette Binoche, Maurice Bénichou, Annie Girardot, , Daniel Duval

Distribution : les films du losange

Site officiel : www.lesfilmsdulosange.fr

Durée : 1h55

L’histoire : Journaliste littéraire à la télé, Georges Laurent reçoit des vidéos, filmées clandestinement depuis la rue, où on le voit avec sa famille, ainsi que des dessins ensanglantés. Peu à peu, le contenu des cassettes devient plus personnel, ce qui laisse croire que l’expéditeur connaît Georges depuis longtemps. Une descente aux enfers où les mensonges côtoient les mauvais souvenirs.

 

Un univers intrigant au service d’une mise en scène vertigineuse

Le prix que Michael Haneke a reçu cette année à Cannes est cent fois mérité. Le réalisateur autrichien maîtrise une fois de plus parfaitement son sujet. Ce film, dont la thématique principale est basée sur le scrupule, est implacable et glacialement efficace.

Commençons par la direction d’acteurs : on trouve ici un Daniel Auteuil bizarre. Tous les acteurs sont époustoufflants de vérité et dans le même temps étrangement faux, maladroits dans leur élocution, leur posture. Comme si ils faisaient exprès de mal jouer.

Les dialogues participent à ce jeu particulier : ils sont parfois très écrits, et tantôt, les acteurs semblent improviser. Cela donne une atmosphère dérangeante à cette histoire qui l’est déjà hautement. Théâtralité et vérisme s’entremêlent de telle sorte qu’il nous arrive d’oublier la caméra, et de parfois la ressentir fortement, comme si Haneke aimait nous promener dans cette limite qu’il y a entre fiction et réalité.


Les choix de cadres sont également déroutants, nous sommes parfois loin, parfois très proches de nos personnages. La caméra n’est jamais là où on l’attend. Le point de vue adopté est toujours inattendu, on se demande toujours à la place de qui l’on voit : est ce le regard du cinéaste ? Le regard d’une caméra cachée ? Le regard de la propre conscience du héro ? Notre regard ? Mais qui est « caché » derrière cette caméra ?

Ce qu’il y de plus remarquable dans "Caché", c’est le montage. Il fabrique de l’inconscient, des images subliminales, de l’hyper réel et de l’irrationnel. Vous serez hanté par ce méandre d’images qui se bousculent de telle sorte qu’il vous sera difficile de reconstituer l’ordre exact des évènements. Des plans, comme des flashs, des prémonitions, des hallucinations. Qu’il est bon de voir encore aujourd’hui un auteur manier si bien ce richissime outil cinématographique !


Un rapport au spectateur à la  limite du sadisme

Dès le premier plan du film, Michael Haneke nous trompe. En effet, le long métrage s’ouvre sur un plan montrant une rue où il ne se passe pas grand-chose. On se concentre sur le moindre mouvement ou indice, et déjà les questions fusent : que va-il se passer ? Pourquoi ce plan est il fixe et si long? D’un seul coup, la voix de Juliette Binoche retentit comme si elle était à côté de nous : « voilà, ça s’arrête comme ça ». Et l’image se rembobine en accéléré. Depuis le début nous regardions un plan dans un plan.

Tout au long du film, cette trahison première vous incitera à vous méfier de tous les plans qui suivront. On retrouve dans ce rapport étroit entretenu avec le spectateur, le Haneke de "Funny Games". Et pour cause, vous serez donc trahi, mener en bateau, pris à parti, laissé pour compte, ignoré, refoulé et vous devrez créer votre propre explication à ce qui arrive à Georges Laurent. Ce bourgeois persécuté pour lequel vous ne pouvez rien. Votre impuissance vous renverra alors à votre propre incapacité à comprendre tout ce qui sommeille en vous, et qui est insaisissable. Le personnage de Daniel Auteuil est comme nous, avec son lot de faux pas, de culpabilité, de mortalité, de monstruosité mais aussi de vulnérabilité, de pudeur et d’inconscience.

Vous ne viendrez pas chercher des réponses en vous déplaçant pour découvrir ce qui est « caché », mais vous trouverez des questions. Des interrogations tapies juste au coin de votre tête. Prenez ce film comme une métaphore, une sorte de miroir de vos propres angoisses avec tout ce qu’elles ont d’impalpable et d’indicible. Haneke retranscrit ici parfaitement les abîmes de l’âme humaine.