Vers le sud
Vers le sud
Sortie:
04/02/2006
Pays:
France
Genre:
Durée:
1h55 Min
Réalisateur(s):
Acteurs:

Vers le sud

par: Justine Denis



Résumé : Au début des années quatre vingt, Ellen, une anglaise âgée de cinquante cinq ans, rencontre Brenda, américaine, quarante sept ans, sur une plage de sable chaud à Port-au-Prince. Leur attention est tournée vers un jeune garçon de ce pays « paradisiaque », un dénommé Legba, qu’elles payent, chacune à leur manière, pour qu’il leur donne un peu de sexe, d’amour et de tendresse. Tout ce qu’on leur refuse dans leur « vraie » vie respective ». Mais la vie n’est pas si simple, et Haïti n’est pas le paradis. Nombre de fléaux rongent l’île : la misère, la prostitution (entretenue, finalement, par nos deux touristes d’Ellen et de Brenda) mais aussi la dictature de Baby Doc servie par ses tontons macoutes.


Un univers aux facettes multiples
Laurent Cantet pose sa caméra et tente de la faire oublier pour donner toute la « parole » aux personnages principaux de ce « Sud ». Nous sommes à Haïti. Après une introduction dérangeante, où l’on voit une maman essayer de vendre sa fille à un homme qui a réussi, le récit se concentre tout d’abord sur une femme, Brenda, la quarantaine passée, qui débarque sur cette île à la connotation paradisiaque.
Brenda nous emmène en effet dans un cadre idyllique, hors du temps, la société que nous connaissons loin derrière nous. Le soleil, la mer bleu ciel, la plage de sable blanc. Et pourtant, rapidement le malaise s’installe. On croit comprendre ce que Brenda est venue chercher : du sexe et de l’affection bon marché, que le jeune Legba semble pouvoir (ou devoir ?) lui donner. Mais Legba est déjà « à » Ellen, la cynique Charlotte Rampling. Toutes ces femmes, américaines, anglaises, françaises, canadiennes, éveillent notre curiosité, elles semblent si bien heureuses, et tout semble simplissime. On paye pour l’amour, et alors ?
L’envers du décor ne tarde pas à surgir par le biais de Legba, quittant l’hôtel et ses femmes en manque de tendresse. Haïti et toute sa misère sont dépeints, sans que le réalisateur ne tombe dans le documentaire, ni la compassion, ni le misérabilisme. Laurent Cantet contemple le plus justement possible.
Le tableau se ternit à mesure que le film avance, laissant à cœur ouvert nos héroïnes et héros. De petites histoires s’entremêlent et s’imbriquent dans ce panorama où la tragédie côtoie la légèreté et l’insouciance, où le pire côtoie le meilleur, le pire n’étant pas toujours  ce que l’on croit.


Un parti pris littéraire qui met en lumière différents points de vue
Vers le sud est l’adaptation de la nouvelle de Dany Lafferrière, extraite du recueil intitulé « La Chair du maître ». Cantet, à travers sa réalisation, a su donner à son film une dimension très écrite.
Tout d’abord, les dialogues. Ils sont en effet très inspirés et contiennent tous deux versants, celui de l’apparence et celui de la profondeur. Rien n’est dit au hasard. Nos personnages semblent parfois réciter des poèmes.
Vers le sud contient par ailleurs quatre monologues, qui viennent enrichir la narration et contraster l’image que l’on se fait de nos personnages. Ainsi, Brenda nous raconte sa visite trois ans plus tôt à Port-au-Prince, sa rencontre avec Legba, et comment elle a été amené à tromper son mari avec ce jeune homme qui n’avait alors que quinze ans. Elle nous explique, le regard à la caméra, son attachement à ce bel ébène et à ce sable chaud. Sue, elle, parle avec beaucoup plus de légèreté, elle parle d’elle, mais elle parle aussi de ses compagnes de ce voyage amoureux. Ellen, elle, ne regarde pas la caméra, et semble parler toute seule dans sa chambre, elle parle de sa vie de femme, sa double vie qu’elle mène depuis six ans. Enfin, un monologue inattendu, celui d’Albert, le maître d’hôtel, qui a un point de vue plus général sur la situation. Ce qu’il voit est beaucoup plus glauque. Toutes ces femmes ne sont que des touristes, qui viennent abuser de jeunes hommes en perdition et qui les achète comme si ils étaient en quelque sorte des esclaves. Toutes ces femmes vivent en dehors de la réalité et ne se rendent pas compte du mal qu’elles répandent et entretiennent. Une histoire complexe où les cœurs et les sentiments ne peuvent plus se mentir, où les corps sont mis à nue, où la réalité fane le rêve éveillé.
Laurent Cantet concentre ainsi une multitude points de vue, tout d’abord, bien sûr, celui de l’écrivain Lafferrière, celui de ses femmes, celui de Legba, celui des autres et enfin le sien qui se veut objectif mais qui laisse transparaître un profond respect des femmes, de leurs travers, leurs complexités, mais aussi de leurs corps, de leurs désirs et de leurs terribles solitudes. Un point de vue qui ne délaisse pas la réalité sociale du pays, à cette époque. Par le regard d’un réalisateur du XXIe siècle, l’histoire racontée est réactualisée car elle semble hors du temps, comme pour nous rappeler qu’un peuple souffre encore aujourd’hui.


Une mise en scène simple, intimiste, discrète
Laurent Cantet est un observateur, il aime poser sa caméra et se faire oublier, pour estomper la limite entre documentaire et fiction. Les monologues, qui rappellent que Vers le sud, est une adaptation de nouvelles, créent aussi une nuance dans l’histoire racontée. Le récit se fige et évolue dans le même temps, car les personnages qui deviennent les témoins de leur propre histoire et apporte quelques éclairages sur eux même, leurs fêlures, leurs scrupules, leurs émotions mais aussi leur quotidien, leur façon d’appréhender leur monde et celui de Haïti. On peut voir aussi leur contradiction. Les personnages principaux sont comme interviewer mais en même temps, ils semblent tout simplement nous parler, parler au réalisateur, se parler à eux même. Nous pourrions même dire que les personnages parlent aux acteurs qui les interprètent…
Le montage du film privilégie la lenteur toujours dans ce souci d’observation mais aussi pour renforcer cette impression de rêve éveillé. Puis, la mise en scène évolue avec l’arrivée de la noirceur du réel. On peut se rendre compte que la réalisation de Cantet, qui sait être chaleureuse dans sa façon de filmer tout cet amour qui circule entre les êtres, sait aussi être glaciale et crue face à la tragédie qui s’abat sur cet Eden. La lenteur des plans, qui nous transporte parfois, peut être dérangeante lorsqu’il s’agit de montrer le désagréable la situation.
Les dialogues sont remarquables. Nos trois actrices sont très justes et il faut principalement saluer l’interprétation de Madame Rampling. Les autres acteurs sont en majorité amateurs et cela contraste tout en finesse le professionnalisme de nos actrices.
La musique extra filmique est quasi absente, Cantet privilégie la musique « in », lorsqu’un orchestre joue, ou une radio sur une plage ou dans un bar. Cette musique envoûtante libère bien souvent toute la sensualité des corps et par sa gaîté, représente aussi tout le combat d’un peuple condamné à la misère au soleil. Alors que pour nous, touristes, le soleil et la musique des îles nous évoquent toute une quiétude et une libération de nos désirs…

Enfin, le film est aussi musical de part les différents langues qui s’y parlent. Ellen, avec son accent « franglais » qui alterne le français, et l’anglais. Brenda l’américaine, Sue la canadienne et enfin la douce langue de Legba qui laisse parfois transparaître des mots français dans ce créole chantant.

A voir : si vous aimez les films de Laurent Cantet, si vous aimez Charlotte Rampling et si vous aimez les histoires où tout est ni tout blanc, ni tout noir.
Conseil perso : appréciez les performances des acteurs et l’univers singulier qu’il vous est donné à découvrir

Note : 7/10