Quels sont les grands moments qui marquent la vie d’un couple ? Mais surtout, sont-ils vécus de la même manière pour chacun ? De ces questions, André Cayatte signe un diptyque audacieux, qui suit sept ans de la vie conjugale d’un homme et d’une femme. Chacun leur tour, de façon personnelle, Françoise (Marie-José Nat) et Jean-Marc (Jacques Charrier) racontent les grands événements qui ont marqué leur union et leur rupture : la rencontre, les études, le mariage, la naissance de leur enfant, le déménagement en province, la jalousie, les doutes…
Avocat de formation, André Cayatte a toujours insufflé dans son cinéma, une envie de justice, un regard sur une société mais toujours de ce prisme. Que ce soit dans « Le Glaive et la Balance » en 1962, ou encore « Verdict » en 1974. Ce réalisateur atypique, mais en même temps très ancré dans son temps tout en cherchant à se projeter dans l’avenir est souvent considéré comme le cinéaste de l’entre-deux, pas du tout « nouvelle vague », mais pas non plus « Le Cinéma de Papa » (Surnom donné par les réalisateurs de la Nouvelle Vague au cinéma plus classique des réalisateurs de l’avant et l’après-guerre). André Cayatte s’est surtout révélé comme un observateur de la société, avec toujours une interrogation, plus ou moins orientée.
Avec « La Vie Conjugale », le réalisateur va aller plus loin dans son questionnement sur la société en s’intéressant à la vie d’un couple et à s rupture et à ce qui l’y a amener. Il va surtout chercher à être le plus juste possible, en créant un concept de deux films miroirs, afin d’obtenir les deux points de vue des deux parties (A Charge et à Décharge, en terme judiciaire !). Pour cela il va donc réaliser à la trame identique, mais à la narration différente en fonction du point de vue. Deux films miroirs qui furent un véritable casse-tête, d’abord dans son écriture. Car André Cayatte, voulait, pour ce projet, que le scénario soit écrit par le couple le plus emblématique de l’époque : Simone de Beauvoir et Jean Paul Sartre. Si ce dernier refusa, Simone de Beauvoir travailla sur le scénario. Mais demander à une telle écrivaine de se pencher sur la vision féminine de cette vie conjugale dans la France des années 60, ne pouvait que réveiller en elle des besoins et des envies de dénoncer et d’aller au plus profond des choses dans cette condition féminine, si conditionnée à la domination masculine.
Nous nous retrouvons donc face à deux films, qui doivent suivre la même trame de fond, mais avec forcément une vision différente. Et si, le tournage et l’écriture furent un cauchemar, c’est que le réalisateur se devait de suivre au cordeau des scènes identiques, mais en modifier légèrement, ou non, un détail, pour mieux coller à cette différence que le mémoire d’un couple entretien inconsciemment et que le réalisateur avait constaté durant ses années passées au barreau lors des divorces, où l’homme et la femme pouvait avoir un souvenir radicalement différent d’une même situation. Et si « Jean-Marc ou la vie Conjugale » suit les pas du héros, avec une vision de sa femme qu’il découvre l’ayant trompé et délaissant la vie de couple, la vie de famille aux profits de ses excursions volages, la vision de « François ou la vie Conjugale » est radicalement différente et parvient à mettre l‘accent sur la vie de ces femmes dans les années 50-60 qui doivent, le plus souvent, faire le sacrifice de leur vie professionnelle au profit de leur mari, pour se retrouver prisonnières d’une maison dont elles deviennent la maitresse et donc la mère.
Et même si les plus féministes, reprocheront au film, d’avoir, au final, été exclusivement écrit par des hommes et que le discours n’ne apparaît que plus tronqué, notamment sur la peinture de cette femme qui, alors que son mari est présenté comme orienté vers les besoins de la famille et de son enfant, va être dessinées comme ambitieuse et insatisfaite. « La Vie Conjugale » a, malgré tout le mérite de tenter une approche radicalement différente et certainement plus honnête que la nouvelle vague qui cherchait à renverser les codes de narration mais gardait un certain classicisme dans sa peinture des rapports Hommes/Femmes. Et même s’il apparaît évident que le réalisateur laisse apparaître une certaine complaisance pour Jean-Marc au détriment de Françoise, en le resituant dans l’époque il n’en demeure pas moins qu’André Cayatte ouvre une porte sur une réflexion que peu de réalisateurs ont osé ouvrir, particulièrement à cette époque.