Eugénie, cuisinière hors pair, est depuis 20 ans au service du célèbre gastronome Dodin. Au fil du temps, de la pratique de la gastronomie et de l'admiration réciproque est née une relation amoureuse. De cette union naissent des plats tous plus savoureux et délicats les uns que les autres qui vont jusqu’à émerveiller les plus grands de ce monde. Pourtant, Eugénie, avide de liberté, n’a jamais voulu se marier avec Dodin. Ce dernier décide alors de faire quelque chose qu’il n’a encore jamais fait : cuisiner pour elle.
Nous allons très rapidement passé sur le fait que « La Passion de Dodin Bouffant » puisse la victime « Oscarienne » d’un gouvernement qui n’aurait pas apprécié les propos de Justine Triet lorsqu’elle reçu la Palme d’Or à Cannes, et aurait pu faire pression pour qu’« Anatomie d’une Chute » ne représente pas la France aux Oscars. Voilà c’est fait, c’est dit ! Car surtout, il faut être honnête, le film de Tran Anh Hung a des qualités plus qu’indéniables et rarement l’art de la gastronomie n’aura eut une vitrine aussi luxueuse, aussi belle, qu’à travers cette histoire d’amour, touchante et puissante comme rarement il nous a été permis d’en découvrir.
Personnage fictif créé par Marcel Rouff, dans son livre « La vie et la Passion de Dodin Bouffant Gourmet », il devient à travers l’œil de la caméra du réalisateur, une sorte de compilation de tout ceux et toutes celles qui ont voué leur vie à leur passion et à tous les palais du monde entier qui aime déguster des mets d’exception. Mais surtout, alors que dans le film, le personnage d’Eugénie disparaît dès le début du livre, ici le réalisateur a décidé de la rendre présente et centrale dans l’histoire, pour, non seulement parler de gastronomie, mais surtout de conjugalité positive, dans un cinéma qui s’évertue à décortiquer les problèmes conjugaux plutôt qu’à montrer l’amour sous ses plus belles rêveries. Ici, « La Passion de Dodin Bouffant » ce n’est pas uniquement la gastronomie, c’est également Eugénie, cette femme qui partage sa vie depuis vingt ans, qui comprend sa vision de la cuisine, de la préparation méticuleuse des mets, des saveurs, les manières de les sublimer pour embarquer les convives dans une explosion de saveurs et de surprises. Une femme qui pourrait être sa femme, mais qui s’y refuse malgré l’amour intense que chacun des deux se porte.
Si le scénario qu’il a lui-même signé, est donc une ode à l’amour et à la gastronomie, grâce aux libertés qu’il a prise avec le roman de base, c’est surtout la mise en scène de Tran Anh Hung qui vient donner toute la force et toute la puissance de ce film. Méticuleusement, à l’image de la scène d’ouverture, filmant avec une seule caméra, le réalisateur, filme les gestes, les patiences, les regards qui s’éveillent ou s’assombrissent au fil des saveurs obtenues. Il distille avec une douceur remarquable et un sens de la mise en scène qui fait évidemment penser aux maitres de la peinture Flamande ou aux peintures de Renoir. Les couleurs sont chaudes et les mouvements assurés. On y voit des artistes créer des œuvres forcément éphémères, mais à la puissance de plaisir inégalable. Dodin et Eugénie fonctionnent comme les deux mains d’un maitre. Et comme les plus grands, ils n’aiment rien d’autres que de transmettre pour que perdure l’art de la gastronomie.
Evidemment, pour que l’œuvre soit parfaite, il fallait un duo d’acteur sensible et touchant qui puisse fonctionner. Et c’est le cas avec Juliette Binoche (Le Lycéen) et Benoit Magimel (La Tête Haute), deux acteurs qui transcendent leurs personnages en leur donnant toute la patience, la douceur et en même temps cette féroce envie de ne rien manquer de ce qui fait la réussite d’un plat qu’il soit salé ou sucré, viande ou poisson, entrée ou entremet. Les deux acteurs sont précis dans leurs gestes, magnifiques dans leurs tendresses et dans la manière dont ils évoluent ensemble. Ils nous captivent du début à la fin. Leurs prestations sont si touchantes et précises que l’on n’arrive pas à se détacher d’eux et qu’ils semblent eux-mêmes personnage d’un tableau de Vermeer ou de Renoir.