Chef-d’œuvre de la modernité et testament de la Nouvelle Vague autant que des aspirations libertaires de Mai 68, « La Maman et la Putain » pourrait bien être l’arbre qui cache la dense forêt de l’œuvre de Jean Eustache. Alternant documentaires (« Numéro zéro », « La Rosière de Pessac ») et fictions courtes (« Le père Noël a les yeux bleus », « Les Photos d’Alix ») ou longues (jusqu’aux monumentales 3h40 de « La Maman et la Putain »), l’authenticité acharnée de Jean Eustache, cinéaste du désir et de l’intime, resplendit dans chacun de ses films : de la jeunesse solaire et écorchée de « Mes petites amoureuses » jusqu’au vertige bataillien d’« Une sale histoire ». Réunie pour la première fois au sein de ce Coffret 6 Blu-ray™, cette œuvre inouïe, d’une sincérité à couper le souffle, est à admirer dans sa splendide version restaurée.
Les 8 films :
Blu-ray 1 : « Du Côté de Robinson » (1963/1967) : Daniel et Jackson, deux dragueurs sans-le-sou se retrouvent Place Clichy pour chasser la souris. Dans les rues de Montmartre, ils accostent une femme qu’ils décident d’accompagner au dancing. En chemin, elle se confie à eux. Puis, une fois arrivée au bal, elle accepte de danser avec un autre type. Furieux, Daniel et Jackson se vengent de la manière la plus minable.
« Le Père Noel a les Yeux Bleus » (1966) : Pour Noël, le jeune Daniel rêve de s’offrir un duffle-coat, ce qui lui permettrait de dissimuler ses hardes avantageusement. Il accepte donc de poser pour un photographe dans les rues de Narbonne, déguisé en père Noël. Méconnaissable sous sa barbe blanche, il accoste les passants – et surtout les passantes – leur proposant de se serrer tout contre lui le temps d’un cliché.
Blu-ray 2 : « La Rosière de Pessac » (1968) : Printemps 1968. Une vingtaine de notables se réunit autour du maire de Pessac pour comparer les situations de quelques jeunes filles triées sur le volet. La plus vertueuse est élue 72ème Rosière de Pessac. La cérémonie est organisée selon un protocole strict : la remise de la dot, le cortège mené par la fanfare, la messe, les discours, le banquet et ses chansons à boire.
« La Rosière de Pessac 79 » (1979) : Printemps 1979. Eustache revient à Pessac, 11 ans après son premier documentaire, pour filmer de nouveau l’élection et la cérémonie de la Rosière. La jeune fille choisie cette fois a poussé au pied d’une tour HLM. Les trente glorieuses s’achèvent, le chômage est dans tous les discours.
Blu-ray 3 : « Numéro Zéro » (1971) : Jean Eustache filme sa grand-mère, Odette Robert, 70 ans, qui raconte l’histoire de sa vie : son enfance heureuse, la mort de sa mère, la cohabitation douloureuse avec sa belle-mère, sa rencontre avec son mari, bien vite volage. Elle évoque les quatre enfants qu’elle a perdus, les maladies, les déménagements, la honte et les disputes. Elle confie aussi son inquiétude pour son petit-fils et pour son arrière-petit-fils qu’elle aimerait voir grandir encore quelques années.
Blu-ray 4 : « La Maman et la Putain » (1973) : Alexandre, jeune oisif, vit avec (et aux crochets de) Marie, boutiquière sensiblement plus âgée que lui. Il aime encore Gilberte, étudiante qui refuse la demande en mariage qu’il lui fait en forme d’expiation. Il accoste, alors qu’elle quitte une terrasse, Veronika, interne à Laennec. « Je me laisse facilement aborder, comme vous avez pu le constater (…) Je peux coucher avec n’importe qui, ça n’a pas d’importance. » Marie accepte, quoique difficilement, de partager son homme avec elle.
Blu-ray 5 : « Mes Petites Amoureuses » (1974) : Daniel, est un jeune garçon taiseux qui observe les filles avec convoitise. Il est élevé par sa grand-mère, à la campagne. Quand il atteint l’âge de 13 ans, sa mère, qui vit avec un ouvrier agricole dans un tout petit appartement à Narbonne, décide de le prendre avec elle. Daniel arrête l’école à contrecœur et entre comme apprenti chez un mécanicien. Il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers qui passent leur temps libre au café, à fumer et à échafauder des stratégies pour séduire les filles.
Blu-Ray 6 : « Une Sale Histoire » (1977) : Un homme raconte devant une assemblée essentiellement composée de femmes, qu’il a découvert, dans le sous-sol d’un café parisien, un trou tout en bas de la porte des toilettes pour dames. Il s’est mis à descendre régulièrement, poser sa tête sur le sol de ces toilettes crasseuses pour observer le sexe des femmes. Le trou est devenu une obsession : il voulait voir directement par le sexe, plutôt que de passer par les étapes.
Le mouvement de la nouvelle vague, connue trois réalisateurs majeurs : Jean-Luc Godard (A Bout de Souffle) François Truffaut (Les 400 Coups) et Jean Eustache (La Maman et la Putain). Tous ont en commun d’avoir bousculé les lignes de la narration et de la manière de filmer. Mais par effet de ricochet, ils se sont également, du moins pour Godard et Eustache, écartés du public en créant un cinéma intellectuel, porté par de longues tirades ou de longs dialogues sur de multiples sujets et dans des conditions, souvent du plus épuré possible, en évitant, autant que faire se peut, d’utiliser des artifices. Un cinéma, donc, qui bouscule les lignes en s’éloignant, volontairement, du classicisme, que ces réalisateurs, souvent venues de la critique cinématographique, vont s’acharner à dénoncer comme un cinéma de l’ancien temp, et comme une manière de filmer bien trop linéaire.
Certain comme Godard et Eustache vont rester agripper à ce style décousu, bavard et épuré, alors que Truffaut, lui, va signer, vers la fin des œuvres moins radicales. Ce dernier, a d’ailleurs, un point commun avec Eustache c’est d’avoir utilisé comme comédien fétiche : Jean-Pierre Léaud. L’acteur sans forcément le vouloir, devient le miroir de son réalisateur (il s’en amusera d’ailleurs dans une interview disponible dans les bonus de « La Maman et la Putain ») et comme tous les artistes de cette « Nouvelle Acteur », l’acteur irrite ou séduit, mais ne laisse pas indifférent. Si Truffaut, laissait de la place à l’improvisation, chez Eustache, c’est tout l’inverse, le réalisateur impose aux acteurs de connaître leur texte à la virgule prêt et de le ressortir tel quel. Une imposition, qui permet ainsi à Jean Eustache de pouvoir assumer en intégralité la paternité de ses films.
Et c’est d’ailleurs le style du réalisateur que de ne jamais le trouver, plus ou moins, là où on l’attend. Car Eustache, s’il puise continuellement dans ses souvenirs, dans son expérience personnelle pour en créer des œuvres qui n’appartiennent qu’à lui, joue également avec la temporalité, le rythme ou encore la durée de ses films. On peut ainsi passer, comme dans les deux films qui composent « les Mauvaises fréquentations » : « Du Côté de Robinson » et « Le Père Noel a les yeux Bleus », 42 mn pour le premier et 47 mn pour le second, à plus de 3 heures pour « La Maman et la Putain ».
Une chose est sûre, le cinéma de Jean Eustache est marquant par son naturalisme. Comme sa caméra qui se plante au cœur d’une rue, au milieu des passants, dont certains ne peuvent s’empêcher de regarder la caméra, intrigués, avec des prises en réel, qui font que parfois certaines répliques sont effacées par le bruit de la circulation, ou en post production créant un décalage flagrant entre le mouvement des lèvres ou les bruits environnants, tout est fait pour déstabiliser le spectateur, habitué à plus de confort, et en même temps cela permet de mieux intégrer l’histoire et de s’accrocher aux personnages ou de s’en lasser comme dans « La Maman et la Putain », où le personnage d’Alexandre, joué par un Jean Pierre Léaud, récitant plus qu’incarnant, peut vite épuiser.
Mais le cinéma de Jean Eustache, ce sont, avant tout, des hommes souvent porteurs de défauts, d’imperfections qui viennent, au final souligner la beauté des femmes et les faire briller bien plus que dans bon nombre de films de l’époque. Et pourtant les bases de ses histoires sont souvent les mêmes, des personnages masculins qui parlent ou qui agissent de manière désagréable pour ne pas dire honteuses, comme dans « Du Côté de Robinson », mais qui, une fois cela passé, laisse apparaître des personnages féminins bien plus mise en valeur et bien plus forts qu’il n’y parait. Les cinéphiles vont enfin pouvoir regarder ces œuvres majeures d’un cinéaste marquant de la « Nouvelle Vague », quant aux néophytes ils pourraient découvrir une nouvelle manière de filmer et de raconter une histoire, plus déroutante, mais tout aussi passionnante. Que l’on aime ou pas Jean Eustache, une chose est sure, le cinéaste ne laisse pas indifférent.