Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.
Comment parler de l’horreur sans jamais la montrer ? Comment mettre en lumière l’inhumanité de ces officiers Allemands dans les camps sans jamais utiliser la moindre violence ? c’est en quelque sorte ce qu’a réussit à faire le réalisateur Jonathan Glazer (Under The Skin) avec « La Zone D’intérêt ». Derrière ce titre énigmatique, se cache le nom donné, par les nazis, au périmètre de 40 km² autour du camp d’Auschwitz. Une zone dans laquelle Rudolf Höss et sa femme se créèrent leur havre de paix, élevant leurs enfants et recevant leurs amis et familles dans une demeure dont la façade donnait sur le trop célèbre camp de concentration où périr plus d’un million de juifs durant la seconde guerre mondiale. Une vie de famille qui contraste forcément avec l’horreur de l’autre côté du mur qui sépare le jardin, ou la maison du plus grand complexe concentrationnaire d’Europe. Une histoire, à la fois, sordide et pourtant si évidente. Dans notre inconscient collectif, Auschwitz est une terre de désolation, où ne régnait que les cris, les odeurs de la mort, des fours crématoires, et la lumière glaciale de l’hiver. Mais Auschwitz c’est également une terre non loin de Cracovie, dans la Province de Silésie. Avec ses cours d’eau, ses forêts, ses champs et sa vie colorée et presque normale, si l’on n’entendait pas le bruit du camp.
Et c’est bien toute la force de la mise en scène de Jonathan Glazer, que de filmer cette famille, qui va à la pêche, fait des balades à cheval, prépare un anniversaire, reçoit de la famille. Une mise en scène qui joue beaucoup sur la luminosité des paysages, le calme apaisant de la campagne Polonaise et le naturel de ce que font les membres de la famille et des amis. On se croirait presque dans une tranche de vie d’un Officier responsable d’une caserne. Mais ce qui fait frappe tout de suite, dans ce film, qui se révèle rapidement oppressant, c’est le son qui vient en contraste totale avec l’image. On y entend le vrombissement des fours, les cris, les coups de feu et autres signes de l’horreur qui se passe dans l’indifférence totale des personnages formant la famille. Jusqu’à ce que certains signes commencent à faire craquer le vernis, parce que le bruit est trop envahissant, parce que le couple vit une crise de la reconnaissance.
Alors les personnalités commencent surgir à l’écran, à travers certaines subtilités qui poussent le spectateur à vite comprendre que le propos du réalisateur n’est pas simplement de nous témoigner de la sordide vérité de cette famille qui habitait dans une maison collée au camp d’Auschwitz, mais, au contraire de nous rendre partie intégrante de cette réflexion sur ce que faisaient les officiers dans leur temps libre. Où habitaient-ils ? Comment pouvaient-ils revenir à une vie normale alors qu’ils condamnaient à la mort dans des conditions atroces dans milliers d’hommes, femmes et enfants chaque jour ? Jonathan Glazer, ne montre rien, laisse le son parler pour lui, mais parfois, au détour d’une scène, il nous met face à l’horreur absolue, comme lorsque Höss se voit présenter un nouveau type de fours Crématoires, bien plus efficace et pouvant assurer une cadence supérieure à celle du moment. Dans ce film rien n’est esthétisé, rendu plus beau, c’est juste l’environnement qui doit devenir un contraste à nos idées imprimées, mais également avec la noirceur du camp.
« La Zone d’intérêt » est un film parfois difficile à regarder tant le contraste entre l’image et le son environnant est marquant et souligne encore plus l’horreur de ce qui se joue devant nous. Une famille vivant collée à l’inexplicable, à la barbarie la plus odieuse, et qui est pourtant totalement indifférente à ce qui se passe autour d’elle. Comme lorsque Höss et son fils font une balade à cheval. Alors qu’à quelques mètres d’eux des juifs sont maltraités par les soldats, le père et le fils repèrent le bruit d’un héron et ne semble n’entendre que ça. Pour incarner le couple, le réalisateur a pu compter sur Christian Friedel (Angelo) hallucinant de froideur et de nuances en officier Allemand responsable de la gestion et de la solution finale sur Auschwitz et Sandra Hüller (Anatomie d’une Chute), dont la prestation, précise et toute en subtilité, vous hante encore longtemps après la fin du film.