Carla Bhem, une jeune femme de 35 ans au physique plutôt moyen et qui porte des prothèses auditives, est secrétaire à la Sédim, une agence immobilière, mais elle est payée une misère et souffre d'un manque de considération de la part de ses employeurs. Son existence triste et solitaire va prendre une tournure différente avec l'arrivée dans la société de Paul Angéli, une nouvelle recrue de 25 ans, plutôt beau gosse, mais qui n'a aucune compétence dans la promotion immobilière. Celui-ci cherche à se réinsérer après avoir fait de la prison. Une histoire d'amour improbable, doublée de manipulation réciproque, va naître entre ces deux marginaux.
Sur un scénario qu’il a signé en collaboration avec l’auteur de roman Tonino Benacquista (De battre mon cœur s’est arrêté), Jacques Audiard, certainement le meilleur réalisateur français, signe une œuvre un peu hybride entre thriller et drame, où les protagonistes se jaugent, se comparent dans leurs univers paumés puis se manipulent l’un et l’autre pour un avenir qu’ils espèrent meilleur, mais surtout pour essayer de changer le regard des uns et des autres sur eux. D’une noirceur palpable, le scénario ne laisse rien au hasard et captive le spectateur pour ne jamais le lâcher avant le générique de fin. On y vit ces deux âmes perdues, de deux milieux totalement différents, mais qui partagent la même solitude et la même blessure de l’indifférence.
La mise en scène d’Audiard est précise, profonde, elle porte ses deux comédiens au meilleur d’eux-mêmes, quitte à les enlaidir pour mieux coller à leur personnalité et à la manière dont les autres les perçoivent. Audiard passe du drame au film noir, commence par nous emmener dans une direction, pour, finalement, nous emmener dans une autre, comme si les vents tournaient constamment dans un espace où se seraient enfermés les deux protagonistes. On se laisse porter par une mise en scène très serrées sur les visages, sur les corps, sur les sonorités également, comme si Audiard voulait nous installer dans le corps de chacun de ses héros pour que l’on puisse mieux cerner leurs dérives.
Emmanuelle Devos (Un Ours dans le Jura) s’enlaidit, se met en danger continuellement dans une composition qui va de la faiblesse à la résignation et de la force à la détermination. Quant à Vincent Cassel (La Haine), il impose son personnage, bombé, recourbé sur lui-même comme pour se cacher ou masquer une violence, une force qui ne demande qu’à s’exprimer ou pour trouver une place dans une société qui lui en laisse guère. Les deux acteurs rivalisent de précisions et de puissance de jeux qui transforme ce film en une œuvre magistrale qui marque, une nouvelle fois, le génie de Jacques Audiard dans l’art de la mise en scène mais également dans celui de tirer le meilleur de ses acteurs. « Sur mes Lèvres » et l’un des films fondateurs du style et du cinéma d’Audiard, à découvrir ou redécouvrir dans cette version restaurée.