L’histoire
Après plus de quinze ans sous les verrous, La Mite, un petit malfrat, retrouve la liberté.
Critique
Critique rédigée par Julien Sabatier
Eldorado du tournage à vil prix, paradis du DTV vite emballé et patrie d’adoption de Steven Seagal (qui y apprécie bas coûts et bons coups …), la Bulgarie est devenue l’un des terrains de jeu favoris de la délocalisation cinématographique. Un petit coin de planète où l’on peut tourner des films pour pas cher. Heureusement, un cinéma du cru subsiste, loin de ce travers mondialiste. La preuve avec Zift, réalisé en 2008 par Javor Gardev.
Si le titre du film de Gardev évoque inconsciemment un quelconque produit ménager, sa véritable signification nous est exposée en ouverture. Dérivé de l’arabe (zift ou dzift), le mot désigne à la fois le bitume, une sorte de chewing-gum et, en argot urbain, la merde. Quant au rapport avec l’intrigue, il ne prendra tout son sens qu’à la fin du métrage. En attendant, nous sommes conviés à suivre la trajectoire chaotique de Lev Kaludov Zhelyazka dit La Mite (Moletsa en version originale). Petit voyou, l’homme a été incarcéré de 1944 à 1960. Seize ans derrière les barreaux, le prix à payer pour un cambriolage qui a très mal tourné. L’existence de Moth avant, pendant et après son séjour à l’ombre, voilà ce que raconte le film.
Réussite esthétique indéniable, Zift frappe d’emblée par son aspect visuel. Un noir et blanc superbe, tranché, austère. Des images comme hors du temps. A quelques infimes détails près, le film pourrait passer sans mal pour une bande tournée dans les sixties (logique). Si la photographie est un régal pour les rétines, la réalisation n’est pas en reste, bien au contraire. Inspiré, inventif, Javor Gardev a toujours le plan qui tue et ce sans tomber dans des travers (trop) esthétisants. Voir, pour s’en convaincre, l’incroyable séquence dans les bains publics, véritable bijou de mise en scène et de montage. Impayables, les trognes des personnages (ça c’est du casting) n’ont que plus de relief sous l’objectif du réalisateur bulgare. A noter que la finition est d’autant plus bluffante que Zift n’est pas une production qui roule sur l’or (on parle ici d’un budget avoisinant les 600 000 euros, pas énorme donc).
A cette sacrée identité plastique fait écho une belle personnalité. Zift est loin d’être une belle coquille vide. Film noir aux accents étranges, le métrage de Gardev déploie certaines ramifications philosophiques (le scénario disserte, en douce, sur le sens de la vie). Simple mais bourrée de digressions sympathiques, l’intrigue est imprévisible (impossible d’anticiper la prochaine séquence), folle et dopée à l’énergie créative. Autant de moments décalés qui forment pourtant un ensemble tout à fait cohérent. On pense parfois, toutes proportions gardées, aux oeuvres du Hongrois Gyorgy Palfi (Hic, Taxidermie).
Verdict
Si Zift n’est peut-être pas la découverte du siècle, il mérite assurément un visionnage. Temple du bon goût aux USA, la chaîne HBO est même tombée sous son charme, achetant les droits de diffusion du film (une première pour un long-métrage bulgare). Une nouvelle preuve qu’il y a bien là un talent à surveiller de près.