Un couple âgé entreprend un voyage pour rendre visite à ses enfants. D’abord accueillis avec les égards qui leur sont dus, les parents s’avèrent bientôt dérangeants. Seule Noriko, la veuve de leur fils mort à la guerre, trouve le temps à leur consacrer. Les enfants quant à eux se cotisent pour leu offrir un séjour dans la station thermale d’Atami, loin de Tokyo.
Tout a déjà été dit sur le cinéma de Yasujiro Ozu et particulièrement sur la beauté de ses films, sur la poésie qui les accompagne, mais surtout sur la peinture parfois rude d’une société Nipponne qui cherche à tout prix l’excellence et peut, par la même occasion perdre de son humanité. Dans ce film, qui reste considéré comme celui certainement le plus abouti, Yasujiro Ozu y décrit une société qui abandonne petit à petit ses mœurs traditionnelles pour se jeter à corps perdus dans la modernité, mais surtout pour renaître des cendres des volcans Hiroshima et Nagazaki dont les stigmates restent présents dans les esprits. Le réalisateur fait peu allusion à ce conflit mondiale qui s’acheva dans l’horreur pour les japonais, mais au travers du regard de ses vieux héros, il nous montre une société en mutation, des enfants qui n’arrivent pas à trouver le temps d’honorer convenablement leurs aînés, exceptée celle qui perdît son mari lors du conflit.
Et ce qui est grandiose dans le cinéma de Yasujiro Ozu, c’est sa capacité de prendre son temps, de montrer la différence qui se creuse, la vieillesse qui se marque par la solitude envahissante. Ici les parents sont heureux de venir voir leurs enfants, et si ces derniers, le sont aussi au début, ils ne parviennent toutefois pas à rompre avec leur quotidien et les parents deviennent d’un coup une gêne quotidienne. Le réalisateur, cisaille sa trame lui donne une forme proche des romans de Zola, accumule des plans de faces parfois inexpressifs pour que les sentiments, lorsqu’ils apparaissent fassent une marque comme à l’encre de chine..
D’ailleurs la mise en scène d’Ozu est minutieuse, la lumière parfaitement dosée pour mieux fait ressortir, les zones d’ombres de son récit et sa direction d’acteur pousse à la minutie, fait fi de la moindre caricature grotesque pour mieux s’arrêter sur les peintures des personnages et de leurs sentiments. Comme un peintre réaliste, le réalisateur s’attache à démontrer les douleurs internes et à les opposer aux codes de la société japonaise de l’époque pour mieux la mettre devant ses paradoxes. La position des parents n’est pas un choix hasardeux, bien loin de là, il permet au contraire de mieux appuyer sur les ambiguïtés de son sujet.
La distribution est d’ailleurs magnifiquement en retenue, comme pour mieux donner à l’histoire un enracinement dans son époque. Le couple Chishu Ryu (le père) et Chieko Higashiyama (la mère) présente un redoutable talent dramatique tout en simplicité qui prend toute son ampleur dans la deuxième partie du film, lorsque ces derniers commencent à ressentir le poids de leur présence.
En conclusion, « Voyage à Tokyo » est un des grands chefs d‘œuvre de Yasujiro Ozu, dans lequel il nous dépeint avec beaucoup de talent et de poésie, l’histoire d’une société qui se reconstruit et se lance dans une course effrénée à la modernité au risque d’y laisser une grande partie de ses traditions.