L'histoire
Paris, les années 70. Quatre amis se retrouvent, le week-end venu, pour un "séminaire gastronomique" prétexte à une débauche continue de nourriture qui vire à l'entreprise suicidaire. Il sont bientôt rejoints par un groupe de prostituées qui prend rapidement peur et par une voisine institutrice, fascinée par la démarche morbide du groupe, qui va les accompagner au bout de leur projet.
Critique subjective
S'il y a bien eu un scandale à Cannes, c'est bien celui-ci, et pour bien le comprendre il faut le remettre dans son contexte. Lorsque La grande bouffe est présenté en 1973, le festival fait les choses en grand, acteurs et réalisateurs sont présentés telles des stars, ce qu’ils étaient. Mastroianni, Piccoli, Noiret et Tognazzi, excusez du peu. Paillettes, tapis rouge et cie... Personne, ou presque sans doute, ne s'attendait à recevoir de plein fouet un tel spectacle. Il faut en effet bien s'accrocher.
Orgie incessante de nourriture, bruits de mastications, rots, pets, vomissement, excréments et urine coulant (littéralement) à flots... rien n'est épargné au spectateur qui, s'il est attiré par le pitch particulier du film, recevra exactement ce qui lui était promis, sans concessions aucune, si bien que le film, toujours aujourd'hui, conserve son aura provocatrice intacte. Loin de n'être qu'une simple critique de la société de consommation, ce à quoi le film est souvent réduit (et qu'il n'est pas), La grande bouffe parle avant tout de la société, tout simplement. Les quatre protagonistes, avant d’être présentés sous les pires aspects, sont chacun introduits par une courte vignette. Un pilote d'avion, un juge, un restaurateur de luxe et un présentateur radio. Que des métiers respectables voir même de classe sociale supérieure, rendant l'ironie des situations qui vont suivre que plus savoureuse. Les raisons qui les pousse à entreprendre un tel projet ne sont au mieux qu'esquissées, si ce n'est que chacun semble vivre une grande lassitude d'une vie de petit bourgeois qui les ennuient au plus haut point. Reste le personnage d'Andrea, complice de circonstance, qui restera avec les quatre amis jusqu'à la fin, à la fois en tant qu'amante et mère, se faisant même un devoir de les pousser à aller au bout du processus dans un final mêlant intimement sexe et mort.
Le travail de Ferreri sur la réalisation est de grande qualité, distillant le malaise à force de tableaux familiers qui impliquent le spectateur et sa propre expérience à "la bouffe" et une répétition de ces scènes. Les personnages, comme n’importe qui peut le faire dans n'importe quelle fête, ne mangent plus simplement pour se nourrir, mais pour satisfaire un autre besoin, la gourmandise. Ici, cela est montré de manière poussée et caricaturale, à un excès tel qu'il provoque vite le malaise. Un repas à peine fini, c'est un nouveau plat gargantuesque qui est posé sur la table, avant que bien vite, ces escapades culinaires quittent la bienséance d'un banquet traditionnel pour s'inviter dans le lit, dans le salon ou toutes autres pièces. Ils mangent en toutes circonstances (y compris lors des ébats sexuels ou lorsqu'ils sont malades). Très vite, cette nourriture, pourtant préparée pour le tournage par un célèbre traiteur parisien, devient pour le spectateur source de dégoût. Le travail sur le son est également remarquable. (loin de provoquer le rire, les performances flatulentes et Piccoli sont avant tout morbides).
Le film est pourtant rempli d'un humour mordant (dont l'épisode de l'explosion des canalisations de toilettes est l'exemple le plus facile). Tout en ironie, le film tape là où ça fait mal, expliquant par là-même grandement les réactions épidermiques qu'il a pu recevoir. C'est sans doute Philippe Noiret qui, à sa manière, résuma le mieux à la fois le film et les critiques indignées qui en ont découlé : «Nous tendions un miroir aux gens et ils n'ont pas aimé se voir dedans. C'est révélateur d'une grande connerie».
En conclusion
La grande bouffe est sans doute, malgré son aspect repoussant indéniable, l'un des meilleurs films français des années 70. On ne peut que constater avec amertume que la production d'un tel film dans l'hexagone aujourd'hui serait tout simplement impensable.
Un seul supplément d'importance est présent ici. On pourra grandement regretter de ne pas en avoir plus, les images d'archives ne manquant pas.
- Rencontre avec Jean A. Gilli : cet historien de cinéma nous narre la production de La grande bouffe, de son tournage à son accueil au festival de Cannes en passant par la personnalité de son réalisateur et ses intentions artistiques. L'entretien est fort intéressant même s'il est un peu trop long compte tenu du nombre d'information relayées.
- Galerie de photos : une (petite) sélection de photos sans le moindre intérêt.