À l'intérieur d'un tribunal, Zain, un garçon de 12 ans, est présenté devant le juge. À la question : " Pourquoi attaquez-vous vos parents en justice ? ", Zain lui répond : " Pour m'avoir donné la vie ! ". Capharnaüm retrace l'incroyable parcours de cet enfant en quête d'identité et qui se rebelle contre la vie qu'on cherche à lui imposer.
Il y a des films qui vous déchirent le cœur ! De ces films qui vont par leur puissance narrative vous entraîner dans des histoires dont on sent tout le potentiel lacrymal, mais il y a ces films qui vont vous cueillir avec intelligence subtilité mais aussi avec froideur et violence. Avec « Capharnaüm » de la réalisatrice Nadine Labaki, nous sommes clairement dans ce cas de figure ! Et pourtant, de la violence nous en avons vu, parler de la maltraitance des enfants aussi de nombreuses fois sur les écrans, avec de jeunes acteurs fabuleux, qui savent pleurer sur commande. Mais ici nous sommes bien loin de là, très loin en fait ! Ce qui choque de prime à bord dans ce film c’est la sensibilité évidente de la réalisatrice pour son sujet. Elle nous plonge dans une noirceur quotidienne que vivent chacun des personnages. Dés la première scène le ton est donné, on y voit ce petit garçon, d’une maigreur inquiétante, le regard profond et si triste, être ausculté par un médecin qui d’après sa dentition lui donne un âge approximatif : 12 ans, un âge où l’on devrait rire, être insouciant. Il est ensuite menotté puis emmené dans un tribunal et là son regard nous prend au cœur, à l’âme, et lorsque le juge lui demande pourquoi il veut attaquez ses parents, sa réponse d’une voix frêle et pourtant assurée, vibrante de douleur : « Pour m’avoir donné la vie ! », vous attrape et ne vous lâchera plus, même après le générique de fin.
Car si l’accroche est saisissante, le reste de l’histoire est tout aussi poignante et la réalisatrice qui a également signé le scénario en collaboration avec ses coéquipiers : Jihad Hojeily (Caramel), Michelle Kesrouani et Khaled Mouzanar (Rio i Love You) a eut l’intelligence de ne pas appuyer plus que de raison sur les plaies saignantes d’une société libanaise qui souffre de cette misère et de cette différence flagrante entre les couches de la population. Chacun des personnages principaux qui forment le puzzle de ce film puissant, ne sont jamais tout aussi noirs ou tout aussi blancs que nous pourrions l’imaginer. Il aurait, d’ailleurs, été dommageable, que le film qui se déroule du point de vue de l’enfant ne montrent que des adultes linéaires. Ici, rien n’est aussi simple qu’il y parait, et lorsque nous, occidentaux, prenons de face cette tragédie, notre premier réflexe est de porter un jugement sans appel pour ces parents, que l’on juge, inconscients. La mère, comme le père se lancent dans des tirades déchirantes, qui font mouche, sans pour autant dénaturer le message de leur enfant qui, du haut de ses 12 ans nous cueille par une intelligence rare, une volonté de survivre, et de protéger que ce soit sa sœur, mais aussi la femme qui va le recueillir et son fils dont il va s’occuper. Chacun des personnages principaux est un crève-cœur pour le spectateur bien installé dans son confort.
Et puis surtout, outre le scénario puissant, la mise en scène touchante et vibrante de sensibilité qui sait avec subtilité nous plonger dans les ruelles crasseuses d’un quartier pauvre de Beyrouth, le film touche par l’interprétation puissante et déchirante de Zain Al Rafeea, jeune acteur Syrien qui se lance dans une composition d’une rare intensité. Cette dernière phrase est souvent utilisée mais elle n’a jamais eu autant de sens que maintenant. Le garçon nous cueille par son expression triste, sombre ; d’une profondeur déchirante. Il porte le film sur ses frêles épaules mais y parvient avec une force jamais vue auparavant chez un acteur de cet âge. Que ce soit au tribunal, que ce soit dans le zouk de Beyrouth, ou encore dans les rapports conflictuels avec ses parents, Zain nous capte, nous touche, nous rend honteux, presque, de notre confort et dans les, trop rares moments en suspension, il nous émeut et nous séduit de ce regard si mature pour un enfant si jeune.
Si vous ne devez voir qu’un film cette année, il faut que ce soit « Capharnaüm ». Ce film vous marquera encore longtemps après le générique de fin. Le regard, le jeu de cet enfant, la puissance des personnages, la subtilité de la mise en scène et l’intelligence d’un scénario qui ne cherche pas à appuyer les traits, mais au contraire tente de comprendre et de donner toutes les faces de cette histoire d’une enfance maltraitée par une vie qui ne lui laisse pas beaucoup de chance.