Dans un village perdu au cœur de la plaine hongroise, les habitants luttent quotidiennement contre le vent et l’incessante pluie d’automne. Dans la ferme collective démantelée et livrée à l’abandon, les complots vont bon train lorsqu’une rumeur annonce le retour de deux hommes passés pour morts. Bouleversés par cette nouvelle, certains habitants y voient l’arrivée d’un messie, d’autres celle de Satan…
Lorsque l’on parle de films qui ont marqué le cinéma, on pense évidemment au cinéma américain et particulièrement à Orson Wells qui aura su rendre le cinéma inventif, audacieux et rigoureusement palpitant, à l’instar de son « Citizen Kane », on pense aussi, dans un style plus populaire à Walt Disney et son obsession de l’innovation qui a fait rentrer l’animation dans la sphère très fermée du grand écran en 1937. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, c’est en Europe que les innovations se sont fait les plus remarquablement audacieuses avec des cinéastes comme Abel Gance (La Roue) , http://www.dvdcritiques.com/critiquesHD/hd_visu.aspx?dvd=9561&prov=bo10:20:30
Ingmar Bergman (le Septième sceau), Friedrich Wilhelm Murnau (Nosferatu (1922)) ou Rainer Werner Fassbinder (Despair (1978) http://www.dvdcritiques.com/critiquesHD/hd_visu.aspx?dvd=7334&prov=bo10:16:38)
Sans oublier pour autant le cinéma Italien et ses grandes œuvres passant des maîtres du genre : Passolini, Fellini, etc… Et puis moins connu mais tout aussi fondateur, au point d’être souvent repris par de grands cinéastes américains, il y a le cinéma d’Europe de l’Est, Russe bien sûr avec des réalisateurs tels que Sergueï Eisenstein (Le Cuirassée Potemkine (1926)) ou encore Mikhaïl Kalatozov (Quand passent les cigognes (1958)). Ces trente dernières années c’est le cinéma Hongrois qui nous a donné des œuvres surprenantes, soignées à l’extrême, avec pour unique ambition que de nous transporter dans leurs histoires sans nous lâcher après le générique de fin. On se souvient, bien sûr du « fils de Saul » de Laszlo Nemes en 2015 qui nous avait hanté longtemps après sa projection. Pour autant, la Hongrie n’en n’étai pas à son coup d’essai, car 20 ans plus tôt un autre compatriote de Nemes créait la sensation, avec un film dont la conception s’étala sur neuf années et dont la durée donnait le vertige : 7h33 !
A l’arrivée, « Satantango » est une œuvre sombre, qui réserve pourtant une touche d’optimisme discrète dans ces dernières minutes. Un film qui se donne pour mission de dépeindre la fin du monde, ou plutôt la fin d’un monde (celui de l’Union Soviétique) et d’un autre qui devrait alors en renaitre. Son réalisateur Bela Tarr, signe ici son œuvre la plus audacieuse ou chaque plan est travaillé avec une précision obsessionnelle, utilisant la caméra comme point de vertige pour nous donner le temps de nous plonger à corps et cœur dans cette peinture d’une société en pleine désintégration. Le réalisateur n’hésite pas à prendre son temps, ne laisse aucun détail de côté, et lorsque les personnages marchent dans la boue, ce sont les spectateurs qui essuient leurs chaussures, lorqu’un petite fille sa lance dans une chorégraphie incontrôlée avec son chat, ce sont les cinéphiles qui se mettent des pansements. Car il n’est pas possible de regarder « Satantango » d’un œil distrait il est nécessaire de se laisser prendre au jeu du réalisateur et de plonger dans ses images qu’un noir et blanc profond rend encore plus marquant pour mieux laisser la place au marasme.
« Satango », nous l’aurons bien vite compris, est un film somme, mais qui ne peut pas laisser un différent, son écriture autant que sa réalisation, en font un objet rare de puissance narrative et se révèle totalement comme une expérience cinématographique hors norme, qu’elle soit sensorielle, visuelle ou intellectuelle. N’allons pas y trouver ici une œuvre élitiste, destinée à un public un peu obscur se nourrissant de réalisations métaphysiquement géniales. Non « Satantango » c’est une peinture qui nous captive, nous hante même, que l’on aime ou pas le cinéma qui fait réfléchir, pour peu que ‘on s’arrête devant et que l’on prenne la parti pris de se laisser aller à l’expérience d’un film unique, divisé en trois parties pour une meilleure absorption. Loin de donner mal à la tête le film de Bela Tarr montre à quel point, sans super-héros, sans voitures qui filent à grandes vitesses dans sur les autoroutes de l’action ou sans « punchline », un film peut se révéler passionnant et captivant, avec pour seule ambition que de faire vivre une expérience cinématographique nouvelle tout en peignant une société qui ne cesse de se détruire pour ensuite se reconstruire.
En cette fin d’année qui s’amorce, et alors que le cinéma souffre d’une crise pandémique et économique sans précédent, les éditeurs comme Carlotta continuent de ressortir des œuvres majeures du cinéma mondiale pour mieux nous rappeler, à quel point il est possible de se nourrir du passé pour pouvoir anticiper le présent. « Satantango » fait évidemment parti de ces œuvres-là.