Un commerçant toulonnais d'apparence honorable est en fait un receleur pour une bande de malfaiteurs. Menacé de chantage, il commet un meurtre pour lequel un innocent est condamné au bagne. Huit ans plus tard, le forçat s'évade et notre commerçant le recueille.
Avec des films comme « Gardien de Phare » en 1929 ou « Gueule d’amour » en 1937 avec Jean Gabin, Jean Grémillon est un réalisateur qui ne signa pas d’énorme succès intemporel, mais parvint tout de même à se démarquer par un ton et une signature assez moderne dans sa façon de raconter une histoire. Réalisateur de documentaire, il va se diriger tout naturellement vers la fiction et signera des œuvres toujours empreintes d’une précision de documentariste dans sa manière de présenter les environnements de ses personnages.
« L’Etrange Monsieur Victor » n’échappe pas à la règle. Ainsi, alors qu’il tourne un drame dans lequel un homme innocent, accusé d’un meurtre va passer plusieurs années au bagne et revenir dans sa ville de Toulon pour être hébergé par le commerçant, auteur du meurtre, le réalisateur va s’évertuer à reconstituer Toulon, à reproduire les lieux tels qu’ils sont et tels que les spectateurs les connaissent. Précis dans les environnements, mais également dans le rythme de son histoire et la façon dont il va porter à l’écran le scénario signé Charles Spaak, qui avait déjà travaillé avec le réalisateur sur « Gueule d’amour », et Albert Valentin, scénariste de « Boudu sauvé des Eaux » de Jean Renoir (1932).
Le réalisateur va jouer entre légèreté et noirceur, comme le fit Pagnol, dont Raimu était l’acteur fétiche avec des œuvres comme comme « La trilogie Marius, Fanny, César » (1931, 1932, et 1936) ou encore « La Femme du Boulanger » (1938). Nous sourions de la gouaille de l’acteur Marseillais, alors qu’il parvient à nous faire trembler lorsqu’il laisse apparaitre son vrai visage. Face à lui, l’acteur Pierre Blanchar (La Symphonie Pastorale) impose une noirceur teintée de douceur et de résignation. Autre époque, autre façon de laisser parler les sentiments et de les filmer, le réalisateur va positionner l’actrice Madeleine Renaud (Le Dialogue des Carmélites), dans une position bien inconfortable. Femme du commerçant, elle va se laisser aller à aimer ce pauvre homme venu du bagne se réfugier chez elle. A une époque où nous jugeons le passé avec un manque évident de nuance, comment ne pas parler de cette scène où Bastien Robineau tente d’obtenir un baiser de la femme de son hôte ? La douceur de l’actrice se mut alors en tristesse et lève un voile sur la force et la lassitude qui l’habite.
« L’Etrange Monsieur Victor » est une œuvre assez mal connue du grand public. Pourtant son réalisateur Jean Grémillon, signe, ici, un drame fort et permet à ses acteurs de livrer de remarquables prestations. Une réflexion sur la culpabilité d’une telle modernité qu’elle pourrait résonner avec encore beaucoup de force sur notre présent, pas si évolué, semble-t-il. A découvrir !