Un des gardiens du Louvre affirme qu’il a vu un fantôme dans la salle des Dieux Barbares, dans la nuit du 16 au 17 mai 1925. Le gardien-chef, Sabarat, fait remarquer au Conservateur des éraflures toutes fraîches et assez profondes qui marquent le socle de la statue de Belphégor, divinité des Ammonites. Sabarat se propose de monter la garde mais, le lendemain matin, il est retrouvé agonisant devant la statue. L’inspecteur Ménardier est chargé de l’enquête mais Jacques Bellegarde, un jeune journaliste du Petit Parisien, s’est mis en tête d’élucider également le mystère. Un étrange message signé Belphégor, l’averti du danger qu’il court à s’occuper de cette affaire. Il n’en a cure malgré la désapprobation de sa belle et riche amie Simone. Jacques fait la connaissance de Colette Barjac, une exquise jeune fille vers qui il se sent très attiré. Cette rencontre l’amène à quitter Simone. Pour s’introduire au Louvre et mener son enquête, Jacques demande de l’aide à sa femme de ménage qui est la femme du gardien de nuit.
« Belphégor » c’est un fantôme qui hante le Louvres, né sous la plume d’Arthur Bernède, et inspiré d’une divinité citée dans l’Ancien Testament. Plus connu grâce à la série réalisée en 1965 par Claude Barma avec Juliette Gréco ou encore le film réalisé en 2001 par Jean Paul Salomé avec Sophie Marceau et Michel Serrault. Mais ce qui est moins connu c’est sa version de 1927, film muet réalisé par Henri Desfontaines (L’Espionne) sur un scénario signé de l’auteur du cinéroman, publié dans le journal Le Petit Parisien, le plus lu de l'époque. Le cinéroman, genre très en vogue au tout début du 20ème siècle, sortait quasiment simultanément dans les journaux où ils étaient publiés en plusieurs épisodes et au cinéma où ils sortaient également en plusieurs parties équivalentes à ce qui sortait dans le journal. Le plus connu étant « Fantômas », écrit par Pierre Souvestre et Marcel Allain et réalisé par Louis Feuillade à partir de 1913, avec, déjà René Navarre à la distribution. « Belphégor » fait partie intégrante du Cinéroman, même s’il arrive à une période où le genre est en déclin (Il s’éteindra d’ailleurs en 1920), est l’un des plus gros succès de l’époque et fit naitre le mythe qui prendra toute son ampleur, comme une logique, 50 ans plus tard à la télévision.
Henri Desfontaines, est un réalisateur oublié des débuts du cinéma français, né en 1876 à Paris et décédé en 1931 également à Paris. Il commencé sa carrière au cinéma en 1908 en réalisant une adaptation d’« Hamlet » de Shakespeare. A travers un nombre particulièrement conséquent de réalisation Desfontaines fut l’un des plus prolifiques de son époque, dans des styles aussi variés que le théâtre nous venons de le voir, mais également dans le fantastique comme avec « La Momie » en 1911, un court métrage qui, déjà montrait le gout pour le réalisateur d’explorer des territoires moins conventionnels.
D’une durée particulièrement imposante plus de quatre heures en tout, ce film découpé en quatre parties est une expérience visuelle remarquable, pour l’époque, qui emmène le spectateur dans une enquête passionnante, dans laquelle un fantôme hante les couloirs du Louvre la nuit et où la police enquête mais se fait damer le pions par un journaliste curieux et passionné. Qui va enquêter en parallèle. L’intérêt de cette version, c’est avant tout d’être celle travaillée en collaboration directe avec l’auteur de la nouvelle, ce qui lui affère immédiatement une véritable légitimité et surtout une fidélité par rapport à l’œuvre. Ensuite, la mise en scène de Desfontaines, s’amuse avec une simplicité désarmante et une technicité renversante à brouiller les pistes et à rendre son fantôme particulièrement mystérieux, tout autant que fascinant.
Bien sûr nous pourrions faire le reproche d’une distribution qui en fait des tonnes, mais même là, le réalisateur a su moderniser le jeu de ses acteurs et époque oblige, comédiens venus du théâtre, de la tragédie, Muet oblige également, les gestes et les sentiments sont amplifiés pour mieux donner un sens aux scènes qui se jouent devant nous. René Navarre, star de l’époque que l’on retrouvera dans des œuvres comme « Mephisto » de Henri Debain avec Jean Gabin en 1930. Mais surtout chez Louis Feuillade dont il est l’un des acteurs fétiches et pour lequel il jouera « Fantomas » en 1913.
Injustement oublié, Henri Desfontaines réalisa des œuvres remarquables d’inventivité et de modernisme, tel que ce « Belphégor » réalisé en, 1927, et qui fut lui aussi également oublié au profit de la série qui verra le jour 50 années plus tard, avec Juliette Gréco. Pourtant ce film est très loin de manquer de bonnes idées. Et même si le jeu de son acteur principal, René Navarre, peut être jugé trop théâtral, le réalisateur a à cœur de donner un souffle de nouveau et de fantastique dans cette adaptation de l’œuvre d’Arthur Bernède.