Les doutes et les tourments du majordome d'une grande famille anglaise qui, en 1956, après trente années de parfait service, se demande s'il n'a pas gaspillé sa vie.
Adaptation du roman éponyme de Kazuo Ishiguro, « Les Vestiges du jour » eut un parcours chaotique avant de trouver les chemins des plateaux de cinéma sous la direction de James Ivory. Le réalisateur tout juste sorti du succès de « Retour à Howards End » gagna la bataille qui tournait autour de l’adaptation de ce roman, considéré comme le chef d’œuvre. En effet, James Ivory avait déjà le souhait de réaliser le film en 1989, après avoir lu le roman, mais les droits étaient bloqués par Columbia en vue d’une adaptation par Mike Nichols le réalisateur de « Le Lauréat » en 1967 avec Dustin Hoffman et l’incroyable musique de Simon et Garfunkel. Harold Pinter, scénariste de « La Maitresse du lieutenant Français » en 1981 et Prix Nobel de littérature en 2005, travaillait sur le scénario, mais le sujet mis tant de temps à se concrétiser que Nichols se laca dans un projet radicalement différent : « Wolf » un film de loup-Garou avec Jack Nicholson (Vol au-dessus d’un nid de coucou) et Michelle Pfeiffer (Ladyhawke).
Et ce fut une grande chance que James Ivory reprenne le projet, tout en ayant toujours Mike Nichols à la production, mais en écartant le scénario d’Harold Pinter, car le réalisateur avait déjà fait preuve d’un savoir faire dans la peinture de classes comme dans « Maurice » en 1987 ou encore « Retour à Howards End » en 1992. Avec sa scénariste habituelle Ruth Prawer Jhabvala, ils vont alors signer une intrigue forte et une peinture sans concession d’un monde autant feutré que bouillonnant de vie. Nous pensons, évidemment, aux vues du résultat à la série « Downton Abbey » qui semble avoir été directement inspiré du film ou du roman, mais le scénario va beaucoup plus loin et surtout ne cherche pas forcément à mettre au centre de l’intrigue des Aristocrates et des gens de maisons dans leurs univers respectifs. Il va, au contraire mettre en lumière cette abnégation qui force parfois le respect ou suscite l’interrogation, de ces gens de maisons envers le maitre des lieux et ses invités, parfois prestigieux.
A la différence de la série de Julian Fellowes, ici, le personnage principal s’interroge sur le bien fondé de son existence et sur l’abnégation dont il fait preuve envers son maitre pour lequel il est le seul représentant d’une caste d’invisibles qui œuvrent dans l’ombre, pour que tout soit à la perfection dans le domaine. Même si pour cela, il faut fermer les yeux sur ses valeurs et sur ses idées pour ne jamais passer la limite à ne jamais franchir. Un Majordome qui finit, par le temps, par se rendre compte, mais peut-être trop tard ou non, que le regard des autres sur celui qu’il a servit pendant 30 ans et qui fut l’unique objectif de sa vie, était plus acerbe et moins complaisant que le sien ne le fut. James Ivory pose les questions sur ces personnes de l’ombre de ces grandes familles aristocratiques anglaises, dont les pratiques et idéaux purent être douteuses, pour peu que leur privilèges ne soient pas touchés. Toujours avec une certaine empathie pour les personnels plus que pour les aristocrates ou les politiciens sur lesquels il porte un regard plus critique, le réalisateur signe une mise en scène touchante et inventive qui passe de l’ombre à la lumière, des salons aux cuisines ou des chambres aux dortoirs. Il peint des hommes et des femmes qui ont une telle dévotion pour leurs maitres qui s’interdisent presque le deuil ou la souffrance pour ne jamais être en défaut face au Comte. Et face à eux, des hommes et des femmes qui ne les voient bien trop comme des éléments du décor.
Anthony Hopkins (Le Silence des Agneaux) livre, ici, une prestation hors norme, dans laquelle, se mélangent les nuances de sentiments et cette froideur nécessaire à l’invisibilité de sa fonction et à la rectitude de son devoir. Touchant, puissant et subtile, le comédien offre une palette tout juste hallucinante de son talent. Face à lui, l’actrice Emma Thompson (Love Actually) vient jouer les contre-points humanistes. Elle, dont le devoir est d’assumer son autorité face à un majordome qui semble avoir du mal à lâcher sa fonction, pour enterrer son père, par exemple, signe ici une prestation toute en force et en empathie qui vient parfaitement compléter la présence remarquable de sa co-star. La comédienne sait se faire plus douce et parfois plus dure sans jamais sombrer dans la caricature que pourrait amener ce genre de rôle.