Le 20 septembre 1947, alors que le sud de l’île de Hokkaido est menacé par un typhon, trois hommes décident de fuir par la mer. Après la tempête, deux corps non identifiés subsistent parmi les noyés. On soupçonne qu’ils sont les meurtriers des Sasada, des prêteurs sur gages pillés le jour des intempéries. L'inspecteur Yumisaka recherche un troisième complice, Inugai, qui s’est réfugié chez une prostituée…
3ème film des plus importants sur la liste des films japonais, « Le détroit de la Faim » de Tomu Ushida fut longtemps resté inédit en France. Pourtant ce réalisateur majeur du cinéma nippon, réussit avec cette œuvre à associer peinture sociale et film noir. Car à travers cette histoire, où tout tourne autour d’un cambriolage, d’un incendie et d’un double meurtre, se dessine une société japonaise en pleine mutation, dans une après-guerre encore marquée par la défaite face aux Américains. Une époque où le pays survit entre conservatisme et envie d’avenir. Sur un scénario de Naoyuki Suzuki, à qui l’on doit, notamment, « Le Duel de l’Aube », autre œuvre majeure de Tomu Ushida.
Le scénario aborde avec une certaine justesse, cette société Japonaise qui a bien du mal à se sortir du conservatisme ambiant et d’une envie de retrouver sa place dans une société tournée vers l’Occident et vers son modernisme affiché. Une époque où la misère est encore beaucoup trop présente et pousse les hommes et les femmes à survivre de toutes les manières. Ici, dans le scénario de Naoyuki Suzuki, nous sommes dans l’après-guerre, les Américains sont encore présents, mais surtout, le Japon peine à se remettre d’une défaite dont les stigmates sont encore visibles sur les visages, dans les cœurs et dans les rues des villes et des villages. Le typhon, tout comme l’échouage du bateau, sonne comme cette guerre qui s’est achevée dans l’horreur.
Avec un sens accru de la mise en scène, le réalisateur signe un film d’une modernité renversante, où la peinture sociale se mélange à une intrigue noire maitrisée et captivante. Le réalisateur séquence en trois parties son propos. D’abord le début de l’enquête avec le Typhon, le naufrage et la fuite. Puis ensuite nous suivons l’errance de Yae la prostituée éperdument amoureuse de Inugai , dont elle a gardé un morceau d’ongle qui vient symboliser l’amour qu’elle est persuadé retrouver. Puis dans la dernière partie, le film se laisse aller au film noir avec l’enquête qui reprend sa place dans la narration pour élucider un meurtre dont le coupable a pris la fuite.
Grace à l’interprétation remarquable en nuances et en subtilité de Kinnosuke Nakamura (Goyôkin) et à la fraicheur et l’motion de Sachiko Hidari (Une auberge à Osaka), le film gagne en profondeur et le discours y est à la fois touchant et cynique. « Le détroit de la Faim » est un film majeur du cinéma Nippon qui vient lever un voile subtil et sans concession d’une société qui peine à se relever de la guerre mais qui a la volonté de regarder vers l’avenir et doit vaincre ses démons pour ensuite trouver sa place dans un monde dominé par la société occidentale.