Hostel, Isolation, La colline a des yeux : lorsque le cinéma d’horreur de 2006 prend la parole
Trois films, trois univers mais aussi trois sous textes empreints d’une indéniable sagacité sur les grands thèmes d’aujourd’hui. Explications.
Le cinéma d’horreur, reflet de son époque
De tous les genres cinématographiques, l’horreur est le plus décrié (mettons de côté la pornographie pour qui le terme « genre » est un peu trop fort). On lui reproche d’être vidé de contenu et de se répéter sans cesse, engoncé dans le lourd carcan de ses règles immuables. Il suffit de savoir lire entre les lignes pour constater que c’est tout le contraire. Les oeuvres horrifiques ont des choses à dire et le font bien. Historiquement, les exemples ne manquent pas. Dans les années cinquante, la peur du communiste est palpable, des titres comme La chose d’un autre monde (Christian Nyby et Howard Hawks - 1951) et Invasion of the body snatchers (Don Siegel - 1956) s’en font l’écho. Prenons maintenant les zombies movies du maître George A. Romero. La nuit des morts vivants (1968) est un manifeste contre la guerre du Vietnam, Zombie (1978) un brillant pamphlet sur la société de consommation, Le jour des morts vivants (1985) une vive critique de l’armée et Le territoire des morts (2005) dénonce quand à lui la politique du gouvernement de George W. Bush et la société à deux vitesses qu’elle entretient. En 1988, Dieu, John Carpenter, tire à boulets rouges sur les dérives de l’ère reaganienne (paupérisation grandissante, consumérisme exacerbé et manipulation médiatique de grande ampleur), ce sera Invasion Los Angeles (They live). Pas besoin de lunettes de soleil spéciales pour percer à jour le vrai sujet du métrage. Autre époque, autre continent avec Dark Water (Hideo Nakata - 2003), un titre qui nous éclaire sur la situation peu enviable des femmes élevant seules leurs enfants dans la société nippone d’aujourd’hui. Des illustrations, on pourrait en remplir tout un ouvrage. 2006 restera sans doute une année faste en la matière puisqu’elle compte trois films horrifiques qui, s’ils sont radicalement différents, ont tout de même un point commun, celui de développer un sous texte pertinent qui en dit long sur notre époque.
Isolation, le spectre de la vache folle
Le plus explicite de ces trois titres est Isolation de Billy O’Brien. Focus sur l’histoire. Contre de l’argent, un modeste éleveur bovin autorise un scientifique à réaliser des expériences génétiques destinées à accroître le rendement laitier d’une de ses bêtes. L’expérience tournera mal et la vache cobaye enfantera d’une créature contre nature, sorte de veau mutant très agressif. Glaçante, la fin du métrage laissera entrevoir une possibilité de propagation de ce nouveau mal à l’être humain. Un sujet traité avec grand sérieux et une forme soignée font d’Isolation un film d’horreur très efficace. Le scénario renvoie clairement à la maladie de la vache folle ou l’ESB (Encéphalopathie Spongiforme Bovine), une épizootie qui a connu son pic entre 1990 et 1995 et qui a secoué l’opinion publique de par sa transmissibilité à l’Homme (chez qui elle prend le nom de maladie de Creutzfeldt Jacob). Aucun hasard dans le fait que l’oeuvre soit un film irlandais également financé avec des capitaux anglais, c’est dans ces deux contrées que sont apparus les premiers cas de vache folle. ESB, grippe aviaire, tremblante du mouton, poulet à la dioxine, OGM ... Les risques alimentaires ne manquent pas. Pour des raisons lucratives, le danger est maintenant dans l’assiette. C’est de cela dont nous parle Isolation.
Hostel, les dangers de la mondialisation
Des trois films qui nous occupent en ces lignes, Hostel (Eli Roth - 2006) est celui qui dispense son message de la façon la plus adroite. Ici, l’accent est mis sur la globalisation galopante et plus précisément sur ce que le phénomène pourrait engendrer de plus sordide. Roth nous dépeint un réseau international qui, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, permet à de riches individus de disposer de la vie d’autrui. L’être humain est rabaissé au rang de marchandise et le nanti en mal de sensations fortes passe sa commande en précisant, par exemple, qu’il souhaite occire une jeune femme japonaise. Un tourisme d’un genre particulier. Bien sûr, les riches se déplacent dans les pays pauvres, ici la Slovaquie. Si l’on pourra gloser ad vitam sur les défauts du second long-métrage d’Eli Roth (la première partie longuette semblant sortir tout droit d’une comédie grasse pour adolescents, le côté faussement extrême de l’oeuvre, etc.), son propos n’en demeure pas moins percutant et bien exploité. Hostel ou le premier film d’horreur anti-mondialiste.
La colline à des yeux, morts pour la patrie
Dans La colline a des yeux d’Alexandre Aja, le sous texte se fait plus implicite. Malgré les injonctions des autorités, une poignée de mineurs refusent de quitter leur exploitation. Ils subiront donc les ravageuses conséquences des essais nucléaires réalisés dans ce secteur réquisitionné. Les retombées radioactives distordent les corps et engendrent une tribu d’humanoïdes mutants et belliqueux. A y regarder de près, la toile de fond n’est pas irréaliste puisque l’on sait que les Etats-Unis ont effectué le plus grand nombre de tests nucléaires (environ 1050 essais depuis plus d’un demi-siècle). Beaucoup ont eu lieu dans les déserts du Nouveau Mexique et du Nevada. Plus qu’un pamphlet sur les dangers de l’atome, La colline a des yeux nous expose les conséquences désastreuses que peuvent avoir les choix d’un gouvernement sur les citoyens (ici les mineurs dégénérés). Le parallèle peut donc être fait avec le second conflit irakien. Afin de défendre ses intérêts économiques, l’Amérique s’embourbe dans un conflit de longue haleine qui coûtera cher en vies humaines (celles des soldats expédiés sur place). Même combat donc.
Le fond et la forme
S’il peut développer des univers hautement fantasmagoriques, le cinéma d’horreur n’en est pas moins (parfois) profondément ancré dans son temps. De là à dire qu’il y a dans ces oeuvres ont souvent beaucoup plus de substance que nombre de titres considérés comme « respectables », il n’y a qu’un pas.
Julien Sabatier
Le 12 septembre 2006