L'histoire :
Le corps de Melquiades Estrada est retrouvé en plein désert, où il a été rapidement enterré après son assassinat. Les autorités locales, sans chercher à découvrir les raisons de ce crime ont rapidement fait inhumer Melquiades au cimetière public. Pete Perkins, contremaître de la région et meilleur ami de Melquiades, va lui-même mener l’enquête et découvrir le meurtrier. Seul garant d’une réelle humanité dans cette étrange région du Texas, il va obliger l’assassin à emmener son ami vers son Eldorado natal, le Mexique, lui offrant ainsi son plus beau voyage, celui de son troisième enterrement.
Critique artistique par Laurent Berry, critique technique par Pierre Dubarry :Après une belle carrière en tant qu’acteur et une première réalisation (The Good Old Boys, un téléfilm datant de 1995),
Tommy Lee Jones réalise Trois enterrements (2005), son premier long-métrage pour le cinéma, scénarisé par Guillemo Arriga (scénariste de
21 grammes (
critique cinéma) et Amours chiennes). Mais on connaît surtout sa carrière d’acteur et parmi ses apparitions on se rappelle de JFK (1991), Le Fugitif (1993) pour lequel il a reçu l’Oscar du Meilleur second rôle masculin,
Tueurs nés (1994) de
Oliver Stone, Men in Black (1997) et Men in Black II (2002) qui laisse un très bon souvenir, U.S. Marshals (1998) ou Space Cowboys (2000) voire disparues (2002) de Ron Howard. Il vient de tourner dans A Prairie Home Companion (2006) sous la direction de
Robert Altman et devrait figurer au casting de No Country for Old Men (2007), le prochain film de Joel Cohen.
L’origine du projet de Trois enterrements est en quelque sorte liée à une partie de chasse à laquelle avait été conviée Guillemo Arriaga dans le ranch de Tommy Lee Jones. A partir d’un fait divers raconté par ce dernier, Guillermo Arriaga a écrit un scénario qui permettait de parler de la situation difficile des immigrants mexicains aux Etats-Unis et au scénariste de développer certaines de ses obsessions. Guillermo Arriaga estime que l’importance de la chasse pour son activité d’écriture est telle qu’il pense qu’il n’aurait pas écrit de film s’il n’avait été amené à la pratiquer. Il constate par ailleurs que les personnages de Trois enterrements sont souvent des chasseurs. On se demande effectivement qui de Mike Norton (le douanier qui tue Melquiades) ou de Pete Perkins (l’ami qui veut se venger) est plus chasseur ou prédateur que l’autre. En dépit de leur intérêt pour la chasse,
Tommy Lee Jones et Guillermo Arriaga sont préoccupés par des questions de natures différentes. Tommy Lee Jones est attaché à révéler le caractère illusoire des choses tandis que Guillermo Arriaga est préoccupé par la mort qu’il a mise en scène de manière frappante dans Trois enterrements (mais aussi dans
21 grammes) pour un homme dont le corps est ramené vers une terre chimérique au cours d’un voyage initiatique et périlleux.
Trois enterrements sont nécessaires à l’acceptation de la mort de Melquiades, pour qui Pete nourrit une amitié profonde. La solitude des personnages raconte des histoires de cœurs écorchés au milieu de paysages dépeuplés où plus qu’ailleurs, on est tous pareil quand on est seul. Le tournage en extérieur dans l'ouest du Texas s’est déroulé entre les environs de Van Horn et des Davis Mountains et le Big Bend Country plus au sud, le long de la frontière mexicaine. On y retrouve des paysages où toutes les solitudes partagent la profondeur d’une tristesse qui peine à se séparer d’un attachement aux quelques repères qui restent alors que le partage du paysage par l’illusion d’une frontière enfonce les derniers espoirs. Le vieux piano sur lequel une fillette joue un air d’une tristesse infinie alors que Pete téléphone à Rachel (
Melissa Leo que l’on avait déjà vu dans 21 grammes) pour lui demander de le suivre, c’est la sensation musicale et la voix tremblotante de Pete Perkins, désormais plus seul que jamais mais toujours habité par une forme de tendresse qu’il communique encore au cadavre de son ami. Une des scènes les plus fortes du film est sans doute le moment où Pete coiffe les cheveux du cadavre de Melquiades qu’il sera nécessaire de protéger de la dégradation tout au long du voyage.
Film à la facture classique Trois enterrements, présente quelques beaux clichés comme quand January Jones est dans le café et fume une cigarette avec mélancolie tandis qu’à travers la vitre elle voit une femme obèse en maillot de bain, bronzée devant son mobil Home. Cette vision étrange révèle ce à quoi veut échapper la jeune fille et qui prend d’autant plus de poids quand elle annonce à Rachel, la gérante du café qu’elle va repartir pour la grande ville. Elle veut aussi échapper à la vie dans une petite bourgade où les couples oublient depuis combien de temps ils sont ensembles et le centre commercial est trop loin pour ne pas devenir essentiel ; partir loin de la frontière, cette limite de zones restrictives artificielles. On a ainsi plusieurs plans de toute beauté comme lorsque Pete passe dans le logement de Melquiades après sa mort et est filmé de dos, face à deux fenêtres ouvertes sur le paysage à perte de vue comme les Etats-Unis savent en offrir. A cet instant Pete semble être placé face à deux directions différentes, le partage de l’horizon au travers de deux fenêtres et lui comme à cheval sur une frontière invisible. La frontière il va effectivement la passer à cheval jusqu’à retrouver l’Eldorado natal de son ami Melquiades. Sur la route semée d’embûches et surtout de rencontres, Pete et son prisonnier vont croiser notamment un vieil aveugle interprété par Levon Helm (un authentique chanteur et batteur qui évolue dans la groupe The Band, Groupe rock, populaire sur le plan international à la fin des années 1960 et durant les années 1970). Ce vieil aveugle à la radio qui ne comprend rien à l’espagnol mais aime l’entendre, solitaire et abandonné à lui-même dans une vielle bâtisse au milieu de nulle part est à l’image de Trois enterrements.
Verdict :Tommy Lee Jones signe avec Trois enterrements un film qui emprunte certains codes du western tout en s’en détachant pour parvenir à un film qui échappe aux tentatives de classification. L’histoire écrite par Guillermo Arriaga et la fabuleuse galerie de belles gueules (au sens propre et figuré) qui la porte entourent Trois enterrements d’un mélange de réalisme et de poésie qui fait mouche. Un DVD à découvrir au plus vite.