Au XVIIe siècle, dans le petit village de Salem dans le Massachusetts, la servante Abigail Williams se livre à la sorcellerie pour se venger de sa maîtresse Elisabeth Proctor, qui l'a renvoyée à cause de la relation adultérine qu'elle avait avec son époux. Arrêtée, elle prétend être une victime et la cour de justice formée à cette occasion va alors envoyer à la potence toutes les personnes dénoncées comme sorcières par les jeunes filles qu'Abigail a eu le temps de mettre en son pouvoir.
Adapté d’une pièce d’Arthur Miller (Les Désaxés) : « Les Sorcières de Salem » est un film intriguant sur bien des points. D’abord pour son aspect sulfureux : Les droits de distribution furent bloqués par l’auteur lui-même, sous le prétexte qu’il ne validait pas cette adaptation, qu’elle portait atteinte à son œuvre. Il se dit en fait qu’Arthur Miller n’aurait jamais accepté la relation éphémère qu’Yves Montand entretint avec Marylin Monroe, et qu’il aurait donc bloqué les droits d’exploitation pour nuire à l’acteur. En effet, alors qu’Yves Montand est marié à Simone Signoret et que Marylin Monroe est l’épouse d’Arthur Miller, Montand et Monroe entretiennent une idylle qui finira dans les journaux.
Tout cela ne reste que pur spéculation et ne vient en rien influencer l’avis que l’on peut porter à l’œuvre du réalisateur Raymond Rouleau (Ruy Blas). Car ce dernier porte une histoire difficile à l’écran at particulièrement bien documenté, effectivement inspirée de la pièce qu’Yves Montand et Simone Signoret avaient déjà joué sur scène, deux ans plus tôt. La mise en scène est rigoureuse et comme cela est généralement le cas dans les films de cette époque, elle s’intéresse notamment aux jeux des acteurs. Leurs regards, la manière dont ils se déplacent des positions très lyriques pour mieux laisser encore une place à la pièce de l’auteur américain. Certains plans larges, nous plongent encore plus dans une ambiance entre paranoïa et rigorisme religieux comme la scène où les jeunes filles arrivent sur la place du village dans un plan tout en profondeur de champ pour mieux insister sur l’aspect ésotérique de ce qui se passe. Le noir et Blanc accentue encore plus le malaise des personnages et cette ambiance si particulière entre fanatisme religieux et confusion sentimentale.
Le scénario signé par le grand Jean-Paul Sartre (Les Orgueilleux) nous entraîne dans les méandres d’une société qui se nourrit de ses peurs, liées à un environnement hostile, mais également à une religion qui les imprègne jusque dans la moindre de leur décision pouvant les faire passer d’un jour à l’autre de pieux à mécréant. Un environnement qui favorisa les hystéries collectives et dont certains useront pour régler leurs comptes. Car c’est bien ce qui est au sujet de la pièce de Miller et du scénario de Sartre : Cette hystérie qui aveugle les croyant et nourrit les plus vils pour mieux asservir ou détruire les opposants. A grand renfort de dialogues découpés avec précision, le scénariste impose une vision qui se révèle certainement l’une des plus fines en occultant pourtant l’aspect environnementale pour mieux en faire jaillir le purin de ces mensonges qui gangrénèrent déjà l’Europe quelques années auparavant lors de l’inquisition.
Et le film brille évidemment par l’interprétation remarquable de sa distribution. Si Montand (Le milliardaire) et Signoret (le Chat) sont brillants de noirceurs, ils se font parfois voler la vedette par une actrice débutante : Mylène Demongeot (Camping) qui signe là une interprétation redoutable d’efficacité en se lançant dans une composition pour le moins habitée, notamment lorsqu’elle simule sa première possession. La jeune actrice est portée par une énergie rarement aussi impressionnante dans un film de cette époque plus souvent enfermé dans un jeu théâtrale qui pouvait empêcher certaines effusions d’énergie. Le couple star quant à lui se laisse posséder par leurs personnages pour mieux faire ressortir toutes les nuances de leurs confrontations entre colère, abnégation et sentiments inavoués.
En conclusion, c’est une grande chance de pouvoir visionner : « Les Sorcières de Salem », un film dont les droits d’exploitations furent bloqués durant des décennies, empêchant ainsi différentes générations de pouvoir visionner cette œuvre profonde et intense autour du mystère de ces exécutions qui furent à l’origine de bons nombres légendes urbaines. Une trame qui permet aux auteurs de pouvoir de donner une vision beaucoup plus terre à terre d’une hystérie collective qui mena à la mort des centaines de personnes.