Paul et Myriam ont deux enfants en bas âge. Ils engagent Louise, une nounou expérimentée, pour que Myriam puisse reprendre le travail. Louise se montre dévouée, consciencieuse, volontaire, au point que sa présence occupe une place centrale dans la famille. Mais très vite les réactions de Louise deviennent inquiétantes.
Adaptation du best-seller de Leila Slimani, lui-même adapté de deux faits divers l’un de 2012 à Manhattan, où une nourrice avait poignardé les deux enfants dont elle avait la garde avant de tenter de suicider elle-même. Une tension avec les parents avait été mise en lumière dans les raisons possibles de cet acte odieux. Et celui en 1997, où Louise Woodward, une jeune fille au pair d’une famille américaine avait secoué le bébé dont elle s’occupait. Une fois encore, le manque d’implication des parents avait été retenu comme l’une des raisons possibles de l’acte de la jeune fille.
Dans « Chanson douce », la réalisatrice Lucie Borleteau (Cannabis), qui a co-signé le scénario avec Jeremie Elkaïm (La Guerre est déclarée), ne cherche pas à apporter la moindre notion de jugement, ni même le moindre effet narratif qui puisse aiguiller le spectateur vers telle ou telle direction. Elle cherche, au contraire à forcer ce même spectateur à s’interroger sur son propre comportement, son rapport à la famille et plus particulièrement à l’enfance. Ici les parents ne sont pas odieux et encore moins démissionnaires, mais ils sont pris par leur travail et ne considèrent pas les enfants comme une élévation, mais comme une sorte d’obstacle à leur progression professionnelle. Ils font appel à une nourrice pour surmonter cet obstacle. Quant à Louise, elle arrive tout d’abord comme une sorte de « Mary Poppins » providentielle pour se révéler une femme perturbée, qui va exercer une sorte de transfert sur les deux enfants du couple, pour finir en total désaccord avec les parents sur des points surmontables, mais qu’aucune des deux parties ne parviendra à affronter.
Utilisant une lumière volontairement naturelle et des couleurs assez vives pour venir en contre-point de la noirceur du propos, Lucie Borteleau ne laisse jamais sa mise en scène prendre la direction du spectaculaire ou du voyeurisme gratuit. Bien au contraire, elle va même offrir des plans de toute beauté, conçu comme des toiles de peintres qui, dans un contexte particulier, vont appuyer encore plus la suspension horrifique dans laquelle baigne l’intrigue. A l’instar de cette scène où Louise erre, nue, dans l’appartement vide du couple. Il y a une construction simple mais efficace de la mise en scène avec une dynamique en sourdine pour mieux imprégner le spectateur. Ainsi, lorsque Louise commence à avoir une attitude inquiétante avec les enfants, le spectateur ne voit pas forcément arriver le couperet qui n’est pas loin de tomber.
Karin Viard, qui avait déjà fait preuve d’une capacité à composer des personnages inquiétants ou au bord de l’implosion, comme dans « Jalouse » des frères Foenkinos en 2017, vient, ici apporter une parfaite subtilité dans son jeu pour rendre son personnage, à la fois rassurant et en même temps perturbant. L’actrice porte, littéralement, le film sur ses épaules et parvient même à éclipser les deux autres acteurs principaux que sont Leila Bekhti (The Eddy), pourtant tout en émotion et en tendresse, et Antoine Reinartz (La Vie Scolaire), qui apporte cette tension et cette prise de conscience des attitudes inquiétantes de Louise.
En conclusion, « Chanson Douce » est un film adapté d’un roman, lui-même adapté de de deux faits divers. Le scénario et a mise en scène, ont cela d’intéressant, qu’ils s’affranchissent d’apporter le moindre jugement, laissant le spectateur libre de ses propres conclusions. C’est réjouissant autant que la composition précise et inspirée de la distribution.