Ancien débardeur, François Cardinaud a mis trente ans pour devenir ce qu'il est : un des hommes les plus importants de La Rochelle. Sa réputation est justifiée, celle d'un type retors, coriace et exigeant. Il a débuté et a grandi sur le port, parmi une faune carnassière, où celui qui ne mord pas est voué à être mordu. En regagnant sa villa, un dimanche au retour de la messe, Cardinaud constate que sa femme Marthe est partie.
Gilles Grangier fut de ces réalisateurs, inclassables, ceux que l’on n’arrivait pas à mettre dans une case précise, notamment parce qu’ils s’essayaient à tous les styles le faisaient bien. Prolifique et surtout grand observateur de son époque il savait faire de son histoire une sorte de miroir de la société dans laquelle il évoluait : Celle d’avant, mais surtout celle d’après-guerre où chacun répondait un code sociétal précis et où les jalousies étaient aussi dangereuses que les amours passionnées. Mis au métier de réalisateur grâce à son ami et acteur Noël Noël (La Famille Duraton), Gilles Grangier tourna douze films avec Jean Gabin. C’est d’ailleurs qui fut à l’origine de la rencontre entre l’acteur et le scénariste Michel Audiard.
« Le Sang à la tête » est leur troisième film ensemble. Gabin y cultive déjà son personnage de chef de clan, de leader, adoré ou jalousé. Et ici, sur un scénario signé Michel Audiard, Georges Simenon et Gilles Grangier lui-même, le réalisateur va s’intéresser à l’adultère, mais pas du côté de la personne fautive, mais plutôt de la victime et des conséquences que cela peut avoir dans une société patriarcale où les apparences doivent être tenues pour ne pas perdre son honneur. Avec une mise en scène assez sobre mais qui va tout de même s’enrichir de scènes en extérieure comme pour mieux souligner l’ancrage dan la société, le réalisateur va nourrir son récit de cette humanité qui fut son image de marque. Aves des scènes dans lesquelles toutes les classes sont représentées.
Comme nous ne la savons pas finalement, assez, Audiard sait aussi faire preuve d’humanisme et sait parfois se laisser aller à la douceur, au sentimentalisme. Ici à travers le scénario il dépeint une société où la réussite ne fait ombrage que lorsque les problèmes arrivent. Une société où l’on peut être redevable nous n’en demeurons pas source de déni dés lors que les problèmes s’annoncent. C’est ce qui arrive au héros, lorsque les gens le croisent et alors que la rumeur enfle sur ses problèmes de couples, ils murmurent, chuchotent et cancanent comme si cet homme était un ennemi.
Mais comme nous sommes chez Grangier, il existe toujours une sortie, un espoir, et une beauté dans des histoires, mêmes les plus sombres. Et la conclusion du film n’y réchappe pas. François Cardinaud reste cet homme intègre qui ne cherche pas le conflit absolument, mais qui sait se faire imposant lorsque cela est nécessaire et qui sait entendre et pardonner. Un peu comme un bon samaritain, il va surprendre par ce calme qui le rendra grand, il va repousser ceux qui voudront profiter de la situation et faire taire les plus arrogants et les plus redevables. Le scénario intelligent et impeccable d’Audiard et la mise en scène, certes classique, mais résolument ancrée dans l’époque, font de ce film une véritable pépite dans la carrière du réalisateur.
Jean Gabin (Quai des Brumes) y aborde déjà son personnage de Patriarche, et les mots d’Audiard commencent à s’inscrire dans son ADN. Conspué par la nouvelle vague pour le classicisme qu’elle lui reprochait, Gille Grangier n’en demeure pas moins un grand cinéaste, à découvrir ou redécouvrir.