Été 1969 : Buddy, 9 ans, sait parfaitement qui il est et à quel monde il appartient, celui de la classe ouvrière des quartiers nord de Belfast où il vit heureux, choyé et en sécurité. Mais vers la fin des années 60, alors que le premier homme pose le pied sur la Lune et que la chaleur du mois d’août se fait encore sentir, les rêves d’enfant de Buddy virent au cauchemar. La grogne sociale latente se transforme soudain en violence dans les rues du quartier. Buddy découvre le chaos et l’hystérie, un nouveau paysage urbain fait de barrières et de contrôles, et peuplé de bons et de méchants.
Lorsque le monde d’un enfant vire au cauchemar par la folie des adultes c’est toute la thématique de ce nouveau film du réalisateur Kenneth Branagh, connu pour avoir incarné le professeur exubérant et incompétent Gilderoy Lockhart dans « Harry Potter et la Chambre des secrets » en 2002 mais également pour être le réalisateur du « Crime de l’Orient-Express » en 2017 ou encore plus proche de nous « Mort sur le Nil » sorti en 2022. Lui qui est né en 1930 à Belfast en Irlande du Nord et y a passé une petite partie de son enfance, a ressenti le besoin de dépeindre cette partie de sa vie qui a déterminé, d’une certaine manière sa vie d’adulte. Il lui aura fallu 50 ans, pour trouver comment raconter cette histoire de sa vie, de son pays, de sa ville, de son quartier.
Et c’est à hauteur d’enfant qu’il décide de nous plonger dans cette rue des quartiers Nord de Belfast à une époque faussement tranquille où les tensions montèrent au plus haut entre les protestants et les catholiques. Les premiers reprochant aux seconds d’être responsables de la crise financière et surtout de venir sur une terre protestante. Une tension fratricide qui atteignit son apogée en 1969, lorsque les violences éclatèrent et que les protestants laissèrent exploser leur colère et s’en prirent physiquement aux catholiques en les frappant, en cassant leurs vitres, brulant leurs maisons et pillant leurs commerces. Jalousie, absurdité, cynisme, Cupidité et surtout religion, tout un cocktail d’ingrédients qui ont amené à la mort de milliers de personnes pour l’absurdité humaine, et l’aveuglement ou la passivité étatique de l’époque. 0 travers le regard de Buddy, 9 ans qui rêve de héros, d’aventure, qui voue à son grand-père une vénération sans limite, craint les colères de sa mère, écoute les conseils de son père et surtout bénéficie d’un amour inconditionnel de toute sa famille, à commencer par ses parents, grands-parents et par son frère. Dans les rues de son quartier, Buddy, connaît tout le monde et est connu de tout le monde, mais en cette journée d’été 1969, son monde tranquille va exploser en quelques secondes lorsque les protestants vont attaquer son quartier et que les barricades, les blindés et la folie vont s’installer.
Simplement et avec une certaine nostalgie pour cette partie de son enfance, Kenneth Branagh déroule son intrigue, distille son message de paix, lui dont la famille protestante a dû quitter l’Irlande pour une tolérance trop affichée et un rejet trop assumé des violences des compatriotes. Alors, on peut, et certainement que ceux qui ont connu ces violences reprocheront au réalisateur de ne pas aller assez loin dans l’atmosphère qui régnait dans ces quartiers à cette époque, de la peur vissée au ventre des catholiques, et de ceux qui les soutenaient, peut-être qu’il ne marque pas suffisamment le trait de la position gouvernementale qui laissa s’envenimer la situation de ces murs qui fut construit comme seule réponse à la violence. On pourra reprocher au film, une sorte de complaisance pour sa famille qu’il dépeint comme idéale et opposée aux violences. Mais au final, le film « Belfast » atteint son but, haut la main. Car le choix de narrer son histoire à hauteur d’enfant, donne à l’intrigue encore plus de résonnance, car le gamin joue, imagine des péripéties, fait des bêtises de son âge, mais la société va venir faire voler en éclat une partie de son innocence. Un choix narratif efficace, tant la scène où les casseurs arrivent pour la première fois est choquante.
Le réalisateur fait également le choix de mélanger l’actualité, les images des films que le gamin dévore, et s’amuse même à mettre en scène des plans remarquables qui mêlent la fiction et la réalité, comme lorsque le chef de bandes des casseurs prend en otage Buddy et sa mère qui ressemble à un western. Les plans sont d’une beauté rare et le choix du noir et blanc ne fait qu’accentuer la dramatique hors du temps du film, et fait ainsi ressurgir avec beaucoup plus de force le paradoxe de cette guerre fratricide. « Belfast » est un film nécessaire pour comprendre la folie qui gangrena les quartiers nord de la capitale d’Irlande du Nord. Peut-être pas celui qui fera somme, et qui permet de comprendre les raisons du conflit, il vaut mieux, pour cela se tourner vers Paul Greengrass et son « Bloody Sunday » en 2002. Kenneth Branagh préfère poser l’œil de sa caméra au cœur du quartier et le faire exploser devant les yeux d’un enfant innocent. Une petite pépite.