Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.
D’abord Acteur puis réalisateur de films tels que « In the Bedroom » en 2001 et « Little Children » en 2006, Todd Field revient avec un projet en maturation depuis des années et qu’il avait écrit pour la comédienne Cate Blanchett (Le Seigneur des Anneaux). Il était question, au départ d’un personnage qui dès l’âge de 8 ans rêvait d’atteindre les sommets de la musique et qui, une fois là-haut se perd dans une autorité imposée aux autres mais pas à lui. Un personnage complexe qui nécessitait aussi une histoire complexe autour d’un axe bien défini. Et cet axe bien défini est devenu rapidement : La Musique et particulièrement le rôle de chef d’Orchestre ? Celui autour de qui s’articule une œuvre et son interprétation. Un voyage au cœur de la création, de l’inspiration et de tout ce qui en découle.
La complexité du scénario, écrit par Todd Fields, réside principalement dans une approche singulière où le chef d’orchestre, milieu particulièrement machiste, est une femme. Une exception qui rend, encore plus, unique le rôle de Lydia Tar. Car le scénario va explorer ce monde, en montrer les coulisses de la création, la pression de diriger un orchestre, une institution, et surtout ce numéro d’équilibriste qui consiste à transmettre un savoir tout en gardant jalousement ce qui fait son identité. Lever un voile sur ces femmes dont le talent n’est plus à prouver mais qui doivent continuellement imposer leur style, leur manière de voir telle ou telle œuvre et surtout les soupçons inlassables sur la façon de dire les choses. A travers le prisme de la création, nous voyons également cette société qui s’enferme dans des interdits, où les cases n’ont jamais été aussi nombreuses sous couvert de reconnaissance.
Et pour incarner ce personnage complexe, le réalisateur a donc choisi Cate Blanchett. Et l’actrice est littéralement transcendée par le rôle de cette chef d’orchestre qui se laisse déborder par ses pensées, par ses intuitions et par sa créativité et son amour de la musique. Qu’elle soit confrontée à un étudiant hermétique à son style et à sa vision de la musique et au besoin d’abnégation pour certaines œuvres, et la nécessité de toujours remettre dans le contexte et séparer l’artiste de l’humain, ou qu’elle soit confrontée à ses sentiments et à ce piège de vouloir tout avoir y compris en se mettant en danger, la comédienne navigue dans ces eaux troubles avec une déconcertante maitrise. Puissante et précise Cate Blanchett est à la fois une cheffe d’orchestre et une femme accomplie dans un rôle difficile de complexité.
D’ailleurs, la mise en scène de Todd Field sait se tenir à distance pour laisser l’actrice prendre l’espace, occuper le terrain, mais avec une certaine maestria il sait également laisser la musique envahir les canaux et plonger au cœur des œuvres dirigées par son personnage. Todd Field prend des risques mais sait toujours garder une place pour mettre le spectateur au cœur de son intrigue et pour rendre flamboyante et envahissante la musique comme une métaphore de la vie de l’artiste, pour rendre ensuite le quotidien du personnage, noyé par de grands espaces, froids, immenses où l’on découvre une vie sans autre saveur que celle de la musique. C’est déjà beaucoup, mais le réalisateur laisse une place à la question de l’intimité qui doit bien se frayer un chemin dans ces grands espaces vides et sans saveur.