Présenté non terminé à Cannes, où les rumeurs de déception avait dominé, le nouveau film de Wong Kar-Wai, après In the mood for love, débarque enfin dans nos salles. C’est le moment de choisir votre camp : œuvre d’art subtile ou pensum ennuyeux ?

2046
Titre original : 2046
Hong-Kong, 2004
Réalisateur
 : Wong Kar-Wai
Acteurs : Tony Leung Ka Fai, Gong Li, Zhang Ziyi, et la participation exceptionnelle (a.k.a. avec toutes les scènes d’elle qu’on a coupé il ne reste que 15 secondes) de Maggie Cheung
Durée : 2h10

La critique de 2046 double DVD édition limité

L’histoire
Chow Mo Wan, journaliste et écrivain, installé dans une petite chambre d’hôtel, tente de gérer ses relations amoureuses, qui se finissent rarement bien. Et lorsque c’est le cas, il peut toujours les inclure dans le livre de science-fiction qu’il écrit…


Les échos le prédisaient et je vous le confirme : 2046 va diviser.
Car il possède de grands défauts et de grandes qualités. Reste à savoir auxquels de ces traits vous serez le plus sensible. Mais même ceux qui trouvent que le film est un bordel sans nom ne pourront nier ses qualités graphiques et l’excellence de ses acteurs. Et même ceux qui trouvent que le film est une superbe œuvre complexe ne pourront nier que la construction est un peu bancale. Car c’est bien là la faiblesse de 2046 : son montage en vague chronologie aléatoire, avec allers et retours dans la fiction d’un livre, dont on ne sait trop si Wong Kar-Wai ne s’est pas perdu en route (un personnage censé être mort réapparaît plus tard ; je n’ai pas réussi à comprendre si en fait c’est parce que c’est avant dans l’histoire, si c’est plus compliqué que ça, ou si le réalisateur s’est juste trompé...). Les incessants remaniements et changements d’histoire qu’a fait subir Wong Kar-Wai au film durant les cinq ans de travail ont été fatals à sa cohésion. Si l’on peut (ou ne pas) apprécier la qualité du film, difficile de comprendre vraiment ce que Wong Kar-Wai voulait raconter, tant le film part dans beaucoup de directions et prend des faux-fuyants.
Pourtant, le film est de qualité. L’image tout d’abord est irréprochable. Pas un plan qui ne sublime son matériel, et le réalisateur arrive à rendre hautement esthétique un hôtel sordide et délabré. L’éclairage résolument chaud (jaune et cuivré) permet de rendre hospitalier ce milieu hostile où les personnages vont pouvoir s’entre-déchirer. Ah oui, c’est un film où chaque personnage n’a toujours le choix qu’entre deux décisions : celle qui le blessera, et celle qui blessera l’autre. Entièrement basé autour des relations amoureuses et/ou charnelles, le scénario passe en revue toutes les décisions à regretter, toutes les occasions manquées. Avec bien sûr un minimum d’action, et pas trop de dialogues mais une voix off. Ajoutez une incursion dans une espèce de futur fashion en images de synthèses, où des androïdes éclairés de façon surréaliste mettent 24h à réagir émotionnellement à un événement. Agrémentez de quelques intertitres pour donner des indications temporelles, ou des proverbes profonds ou parfois zarbi (une histoire de pivoine qui pousse puis part au loin, pas très clair). Vous obtenez ainsi un total assez complexe et, selon les goûts, beaucoup trop maniéré pour être vivant, donnant au film une vraie personnalité à défaut de lui donner une âme.


Les acteurs sont doublement méritants.
Parce qu’ils arrivent à être irréprochables tout en ayant dû jouer le tout en plusieurs fois et sans vision globale du film et des personnages. On regrettera juste un peu les costumes et maquillages trop appuyés qui les rend moins beaux que d’habitude (et entre Tony Leung pour les filles, et Zhang Ziyi et Gong Li pour les mecs, il y avait de quoi voir). Reste la question de la musique. Rien à dire, elle est très belle, entre thèmes originaux et reprise de morceaux classiques. En fait, si, quelque chose à dire : elle est très répétitive. Jouer tous les thèmes différents doit prendre environ un quart d’heure, ce qui nous donne chaque thème à répéter un bon nombre de fois pour couvrir les plus de deux heures du film. En plus, la musique est reprise à l’identique, sans variation, sans déclinaison. Je sais pas vous, mais quand le film entame pour la cinquième fois l’air de Casta diva (ou un autre), ça me donne envie de planter un stylo dans l’œil de mon voisin en guise d’exutoire. Encore une fois, c’est selon votre sensibilité, mais la musique accentue le côté figé et stagnant du film, où on a à peine l’impression d’avoir avancé entre le début et la fin.


Difficile de conclure.
Le film émerveillera certains et ennuiera largement d’autres. Si vous n’aimez pas trop les films lents et glacés, et les histoires d’amour sophistiquées, vous pouvez sans doute passer votre tour. Si au contraire la découverte de scènes très travaillées et fignolées vous motive et que vous vous passionnez pour une romance impossible en costumes engoncés, vous devriez tenter votre chance. La seule chose sûre, c’est que le film est mieux que ce qu’en pensent ceux qui ne l’aiment pas, moins bien que ce qu’en pensent ceux qui l’aiment, et moins bien que ce que Wong Kar-Wai aurait pu faire. Ce qui ne vous avance pas des masses, j’en suis bien conscient.

A voir : si vous aimez les films lents et glacés (comme du papier glacé, pas comme au congélateur)
Le score presque objectif : 6,5/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : -2, je me suis quand même pas mal ennuyé, donc si quelqu’un vous conseille ce film, ce ne sera pas moi

Sébastien Keromen