Une séance en enfer

Par Julien Sabatier

Avant propos

Dans une salle de cinéma, on n’est pas dans son salon. Si cette assertion peut sembler lieu commun, elle est loin d’être assimilée par tous puisqu’il n’est pas rare qu’une séance soit perturbée par des nuisances diverses. « L’enfer c’est les autres » disait Jean-Paul Sartre. Petit panorama des désagréments rencontrés par votre serviteur (tout a été vécu ou plutôt subi) dans cet article à forte teneur cathartique.

And now ladies and gentlemen

Mettons-nous en situation. Vous avez sélectionné la séance avec soin et déboursé une petite fortune pour l’achat de la place de cinéma (force est de constater que les tarifs ont beaucoup grimpé depuis quelques années). Le film tant attendu est enfin dans le projecteur. A peine assis de façon à être pile en face de l’écran, on vous demande « ça ne vous dérangerait pas de vous décaler ? ». Bien urbain de votre état, vous vous exécutez et vous vous retrouvez à côté d’un spectateur qui, comme vous, aime bien s’appuyer sur l’accoudoir. La guerre des coudes va donc faire rage tout au long de la séance. Le film commencé (ou presque), arrivent les sempiternels retardataires. Pas gêné pour deux sous, un Norvégien de deux mètres vient s’asseoir juste devant vous ... ou alors ce sera une personne dont la chevelure ébouriffée vous masquera les sous-titres. Pourquoi donc les fauteuils ne sont-ils presque jamais disposés en quinconce, les salles suffisamment pentues et les écrans assez hauts ?

La grande bouffe

Des bruits dans la salle. Certains ne sont pas là uniquement pour regarder un film, ils veulent s’en mettre plein la panse, se bâfrer d’une nourriture qui tue plus vite qu’une balle. Pour ce faire, ils se sont chargés de friandises diverses achetées à des prix honteusement élevés (les sucreries sont une source de revenus importante pour les exploitants). Passe encore que certains ressentent le besoin d’ingurgiter douze litres de Coca, ce n’est pas bruyant (du moins si l’on excepte le moment où la paille absorbe les dernières gouttes de boisson avec un bruit digne d’un évier qui refoule). On ne peut hélas pas en dire autant des bruits produits par la manipulation des paquets de bonbons. Horreur, le pire ennemi du cinéphile, le mangeur de pop-corn et son seau de maïs éclaté, est là, tapi quelque part dans l’obscurité. Suivra alors le rituel immuable. Fouiller dans la boîte en produisant le bruit d’un chat qui gratte dans sa litière et manger le pop-corn en prenant bien soin de garder la bouche ouverte. Maudissant ces enfants du maïs, vous espérez bien que les OGM contenus dans leur friandise favorite auront raison de leur santé.

Cris et chuchotements

Comme si les bruits de pop-corn ne suffisaient pas, il faut aussi compter avec les bavardages en tout genre. Groupe d’adolescents en pleine crise, jeunes écervelés qui veulent faire les malins, rires idiots pour se gausser du film, manifestation de dégoût à l’occasion de certaines scènes, aspirants cinéphiles qui étalent leur culture limitée, enfant indisciplinés posant une foultitude de questions ou voulant (encore) aller aux toilettes, personnes répondant au téléphone (une pratique honteuse mais de plus en plus répandue) ... les occasions ne manquent malheureusement pas.

Sous haute pression

A ces désagréments peuvent aussi s’ajouter, en vrac, le spectateur enrhumé ou en pleurs (c’est excusable), la vieille qui suce sa pastille pour la gorge à s’en faire sauter le dentier, la spectatrice qui hurle à l’arrivée subite d’un personnage dans le champ, les couples d’adolescents qui ne peuvent s’empêcher de jouer de la langue, le coït (véridique !), le jeune qui filme l’écran avec son téléphone portable hyper lumineux, les odeurs corporelles diverses (transpiration, pieds, parfum vulgaire et entêtant) ou encore les relents de nourriture (kebab, sandwich poulet curry et autres).

En conclusion

Le prix prohibitif du ticket n’y fait rien, certains continuent obstinément à se rendre au cinéma pour faire autre chose que regarder un film. Lorsque l’on sait que le public français compte parmi les plus disciplinés, cela laisse songeur. Pour les cinéphiles, les vrais, le septième art accède presque au statut de religion et la salle de cinéma se doit de posséder la quiétude d’un cloître. Dommage qu’il n’en soit pas ainsi dans l’esprit de tout le monde et que le respect d’autrui ne soit pas inscrit dans les valeurs de chacun.