La télé 100% numérique : le projet de loi ne fait pas l’unanimité



Le gouvernement a adopté mercredi 26 juillet un projet de loi qui se donne pour mission d’organiser le basculement de la télévision française vers le tout numérique à partir du 31 mars 2008 et jusqu’à fin 2011. Voulu par Jacques Chirac en janvier dernier, et mis sur pied par Renaud Donnedieu de Vabres – le Ministre de la Culture et de la communication -, ce projet de loi suscite déjà la polémique et inquiète notamment les chaînes pionnières de la TNT (principalement celles qui sont indépendantes des trois grands groupes télévisuels français). Elles trouvent dans ce texte des éléments susceptibles de menacer à brève échéance le périlleux équilibre économique du secteur…

 

De nos correspondants ITRnew.com

 

Un pays en retard qui veut désormais être pionnier

La France n’est pas pionnière en Europe en matière de télévision numérique, loin s’en faut… Mais avec le « bon démarrage » relatif de la TNT (58% du territoire concerné, plus de 2,5 millions d’appareils dédiés à la TNT pour seulement 18% de foyers équipés), le gouvernement et le Président de la République ont décidé de passer la surmultipliée… « Pour notre pays, a ainsi déclaré Jacques Chirac au cours du Conseil des ministres, ce projet de loi répond à un impératif : ne pas prendre du retard dans les technologies numériques. Et même prendre de l'avance ».

A peine sorti de l’épineux dossier de la loi DADVSI, Renaud Donnedieu de Vabres et les services du Ministère de la Culture et de la Communication ont donc mis le pain sur la planche pour accoucher d’un projet de loi, adoubé par le gouvernement tout entier, qui prévoit une extinction progressive de la diffusion en mode analogique. A partir de mars 2008 et jusqu’au 30 novembre 2011, cette extinction se réalisera zone géographique par zone géographique, selon un rythme et un calendrier établis au plus tard en juillet 2007 par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Intitulé « Projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur » (ouf… Ils ont fait encore plus fort qu’avec la DADVSI ! Ah les technocrates…), le projet de RDDV prévoit le calendrier du basculement vers le numérique intégral et l’abandon de l’analogique, la mise en place de relais satellites gratuits dans les zones inaccessibles à la TNT, le soutien de la HD et de la télévision sur mobile ainsi… qu’un cadeau bonus ! Une fleur dédiée aux trois grands groupes privés français que sont TF1, M6 et Canal+.

« Je vous mets un papier cadeau ? »

Très sensible dans le dossier DADVSI aux sirènes des majors du disque et du cinéma, RDDV s’est, cette fois-ci, mis en quatre pour satisfaire les trois groupes cités. L’ambition officielle est d’encourager ces groupes à basculer sans dommage vers le tout numérique. Le moyen utilisé fait débat. Il s’agit d’un article du projet – en l’occurrence l’article 5 – qui autorise chacun d'entre eux à solliciter un canal "bonus" sur la TNT ! En fait, TF1, M6 et Canal+ (en clair) et quelques-unes de leurs filiales bénéficient déjà de canaux sur la TNT. Mais le texte prétend chercher à compenser une « perte d'audience » et « l'atteinte au droit acquis des chaînes à diffuser leurs programmes jusqu'au terme normal de leurs autorisations » en leur offrant donc le droit de demander au CSA un canal de plus! En contrepartie, ils doivent s'engager à soutenir la production audiovisuelle et cinématographique… D’autant que, comme le souligne le Ministre, « pour tous les diffuseurs analogiques les coûts de diffusion économisés devront se traduire par des investissements renforcés dans le domaine de la création ».

Les « petites chaînes » de la TNT et en tous cas les chaînes indépendantes des trois groupes nommés ci-dessus, ont organisé une conférence de presse mardi après-midi afin de crier au scandale ! Direct 8, NT1, BFM TV ou encore NRJ 12 ont tenu d’une seule voix à dénoncer « les risques de déstabilisation de la TNT en France ». L’opposition au « cadeau » est farouche car, disent-elles, elles craignent fortement que « leur part de marché audiovisuel soit encore réduite comme peau de chagrin par la décision arbitraire et partiale de renforcer davantage le poids de groupes déjà en position dominante ». Graphiques à l'appui, elles ont montré que les trois régies publicitaires de TF1, M6 et France Télévisions trustent les investissements publicitaires du marché (environ 80% de la manne publicitaire achetée à la télé est investie là) et ont observé que l'Italie avait fait, il y a quelques semaines, l'objet d'une mise en demeure de la Commission européenne pour avoir enfreint les règles de la concurrence, en accordant des avantages indus aux opérateurs historiques au moment du passage au numérique. En outre, certains des participants de la conférence de presse ont ironisé sur le soudain intérêt de TF1 et M6 pour la TNT, alors qu’elles ont dans un premier temps tout fait pour retarder son lancement (y compris en envenimant le débat sur les normes de compression utilisées) puis, quand le lancement est devenu inéluctable, se sont gaussés du peu d’intérêt apparent des français pour ses programmes…

Très remontées contre le projet de loi, en tous cas son article 5, les « indépendantes » ont fait savoir qu’elles avaient adressé un courrier au Premier Ministre dans lequel elles dénoncent avec la plus grande véhémence et indignation un projet qui « tend à renforcer encore davantage, au détriment des nouveaux entrants, la position dominante des trois groupes historiques ».

Compensation injustifiée

En toute logique, et en utilisant des arguments frappés au coin du bon sens, NextRadio(1), Bolloré, NRJ, etc. ont indiqué qu’ils ne voyaient pas en quoi une telle compensation était justifiable par les pouvoirs public, sachant que les extinctions de l’analogique ne seront validées « que si l'équipement des foyers a atteint une proportion telle que ces éditeurs ne pâtiront pas du passage au tout numérique » et parce qu'un canal « bonus » a d’ores et déjà été obtenu par les trois chaînes au cours du lancement de la TNT.

L'Arcep n’en pense pas moins, et a émis un avis défavorable sur cet article du texte (« cette nouvelle disposition, qui a pour effet de préempter encore un peu plus le dividende numérique au profit des seuls éditeurs, n'est aucunement justifié ») de même – mais plus mollement - que le CSA qui a expliqué qu' « un équilibre doit être trouvé afin que les mesures tendant à favoriser le développement de la TNT n'aboutissent pas à renforcer la position des acteurs les plus puissants ».

Des progrès tout de même…

Ainsi que l’évoque Alain Weill dans son interview au Figaro (1), il ne s’agit pas en refusant l’article 5 de jeter le bébé avec l’eau du bain… Le texte du gouvernement comporte de nombreux points positifs, même si beaucoup d’entre eux mériteront d’être précisés par le travail législatif. Ainsi, il est prévu que les fréquences libérées par le basculement en numérique ouvrent la voie au lancement de la télévision de demain, notamment des chaînes en HD et des programmes adaptés aux téléphones et autre récepteurs nomades. Reste que ces évolutions inéluctables donneront droit à l’apparition d’une nouvelle taxe, ou plutôt à une contribution à la création audiovisuelle via une majoration de la taxe affectée au Compte de soutien à l'industrie des programmes (COSIP) déjà acquittée par les chaînes de télévision et assise sur leurs recettes publicitaires.

Tout n’est pas cependant clair et figé dans le projet de loi. Ainsi, comme le relève l’Arcep (décidément bien frondeuse, bien que l’un de ses anciens membres soit à la tête de la commission chargée du suivi de la mise en place du numérique en France), le texte du gouvernement ne fait pas de distinguo entre télévision sur mobile via TNT (DVB-H, avec un tuner TNT intégré au mobile ou dispositif nomade) et 3G des opérateurs de téléphonie mobile qui ont payé fort cher le droit d'exploiter les fréquences de l’UMTS, au contraire des acteurs actuels de la TNT.

Le CSA fait un appel à candidatures pour des chaînes en région parisienne

En marge du projet de loi, le CSA a lancé mardi 25 juillet un appel à candidatures pour quatre services de télévision locale sur la TNT en région parisienne. Dans un communiqué, il précise que les dossiers devront être remis avant le 16 octobre 2006 et que la présélection sera faite en janvier 2007. En outre, le dépassement du seuil de 10 millions de téléspectateurs concernés implique que ces chaînes « locales » auront droit à un traitement identique à celui des chaînes généralistes nationales. Les autorisations seront délivrées en mars 2007 pour un démarrage envisagé pour le mois d’octobre 2007.

 

(1) Dans une interview au Figaro, Alain Weill, président de NextRadioTV et propriétaire de RMC, BFM et BFM TV, a déclaré que ce « canal bonus » constituait une menace pour les nouveaux entrants de la TNT. Et il a ajouté que « la création de nouvelles chaînes a constitué sans conteste un pas en avant ; avec l'attribution de trois canaux aux acteurs historiques, c'est deux pas en arrière. L'opération consiste à renforcer trois chaînes privées qui concentrent déjà 80 % du marché publicitaire. Elle se traduira aussi par un affaiblissement du secteur public. Que dirait-on si France Télécom se voyait attribuer une licence Wimax gratuite avant le lancement d'un appel d'offres ? Il s'agit d'une confiscation d'audience ».