Un mardi après-midi de fin Octobre dans un hôtel Parisien. Rendez vous avec Jean Yves Lafesse. L’humoriste est en pleine promotion pour la sortie d’un nouveau DVD qui s'intitule avec maline Lafesse gauche, Lafesse droite qui compile sur plus de trois heures de programmes un nombre conséquent de sketches. L’homme se prête volontiers à l’exercice de la promo et ne perd pas une miette, ni une occasion pour disserter sur la vie et ses surprises. Particulièrement abordable, d’une gentillesse à tout épreuve, Jean Yves Lafesse se soucie autant de notre confort que du sien, il s’arrête sur la couverture d’un magazine, en cherchant ce qui manque à la photo pour la rendre encore plus drôle. Puis suite au signal de départ, se fond dans l’interview avec une douceur qu'il maîtrise à la perfection.
Entretien mené par Emmanuel Galais
- Comment est né le style Lafesse ?
D’abord, je ne savais même pas qu’il y avait un style, mais si je dois répondre à cette question sur la naissance du style Lafesse, je dirais qu’il est né quand Lafesse est né. A supposer que j’ai un style, il est né lorsque je me suis fait appeler Lafesse et quand j’ai commencé à travailler sur des formats courts, c'est-à-dire à mettre en forme tous les délires que j’avais dans ma tête, les rêveries, les images, les histoires, à les « calibrer » sous formes de canulars téléphoniques ou de gags dans la rue. J’ai eu la chance de rencontrer des gens avec qui j’ai pu déconner et puis qui se sont dit « Tiens ce serait marrant… ». C’est né en fait d’une succession de rencontres.
- Avez-vous eu du mal à imposer votre style ?
Je n’ai jamais cherché à imposer quoi que ce soit ! Je ne suis pas dans une logique de plan de carrière. Je suis dans une logique de métier, c'est-à-dire que je considère que le métier de comique, comme tous les autres métiers, c’est une école. Ce n’est pas parce qu’on en sort et qu’on commence un métier, qu’on a cessé d’étudier. Au contraire c’est quand on commence à travailler, qu’on est à l’école. Pour moi le métier de comique c’est une école. Une école de vie extraordinaire. C’est pouvoir commencer à observer, mettre en forme, travailler en avançant dans une certaine logique, commencer à créer une véritable histoire.
Mon véritable credo, c’est d’apprendre à dompter, d’apprendre à mettre tout ça en forme, c’est ce que je fais depuis le début.
- On parle souvent des limites que veulent s’imposer parfois les humoristes, n’avez-vous jamais eu peur d’aller trop loin ?
Il m’est arrivé à deux ou trois reprises seulement (mettons cinq) de déraper, de sortir des trucs un peu trop costaud pour la personne que j’avais rencontré. Mais cela n’a pas été plus loin. Pourquoi ? Parce que j’ai une appréhension de l’autre, un respect pour les gens et évidemment pour toutes les personnes vivantes, en même temps que je fais les derniers mètres vers l’autre dans la rue, je le mesure, je le jauge, je le calcul, je ressens si je vais le blesser ou pas. Et parfois, effectivement les deux derniers pas, je n’ai pas fait le truc et j’ai bifurqué. Il y a une estimation de ce que je vais produire sur l’autre.
- Effectivement, C’est en majorité de l’improvisation, de l’instant T…
Oui je m’expose, et j’expose l’autre en temps réel, en direct, donc c’est effectivement une rencontre, avec le risque que celle-ci se produise mal. Et ce qui est formidable à retenir dans tout ce que j’ai fait dans la rue, je crois, c’est le sens de l’humour partagé par quand même une énorme majorité des gens. Et ça c’est d’autant plus extraordinaire, je penses, que la société est beaucoup plus dure au quotidien, beaucoup plus cruelle, très injuste, on a jamais été aussi injuste en réalité. Je pense que garder l’humour en soi, c’est comme garder l’enfant en soi, c’est l’enfant qui prend ça comme un jeu, c’est pour moi très encourageant. Ca peut vouloir dire que, finalement, la vaste entreprise de crétinisation de masse, qui consiste à faire de la population uniquement des consommateurs, n’a pas forcément gagné d’avance.
- Quel est le meilleur souvenir que vous ayez de cette aventure ?
Y’a des trucs que je trouve magique. Je me souviens d’avoir couru sur une plage derrière un vieux monsieur qui faisait son footing d’une manière très bizarre. C’est dans le DVD, il tourne en rond dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. C’est incroyable ! Il fait un grand cercle et moi je m’incruste dans le cercle et je tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. Au bout d’un moment on se croise, je lui dit bonjour, il me dit salut, mais tout en courant, et au bout d’un moment il fait ça (le signe de « Il est fou »). J’ai trouvé cette rencontre surréaliste. Qu’un mec fasse ça à un type qui est en train de le croiser dans l’autre sens, alors qu’il fait la même chose que lui. Qu’est ce qu’il se dit en fait ? Pourquoi suis-je fou pour lui ? Parce que je suis sur son territoire qu’il a dessiné sur le sable, et que déjà il se demande pourquoi ce type fait ça ? Ou parce que je vais dans l’autre sens ? Mais en réalité ce qui est dingue dans cette histoire, ce n’est pas moi. Ce qui est dingue, c’est qu’il fasse ce geste là alors que je fais la même chose que lui. Et moi c’est ce qui me permet de penser que parfois dans notre esprit, on trouve bizarre des gens qui ne nous corresponde pas, alors qu’en fait ils font les mêmes choses que nous, mais pas au même moment ! Ce qui produit des choses extraordinaires dans la vie, douloureuses ou négatives. Quand est ce qu’on pique les plus grandes colères avec ses enfants. Moi, je sais quand je pique mes plus grandes colères contre mes enfants, c’est quand ils font des choses que j’ai fait quand j’étais enfants, et quand ils produisent des bêtises que j’ai déjà fait moi enfant, je ne le supporte pas, parce que j’ai déjà fait ces bêtises et que je sais que c’est dangereux par exemple, et je ne peux pas supporter ça ! J’ai appris à adoucir tout ça ! Et c’est très très intéressant de voir avec quelles facilités on peut glisser dans la colère.
- En fait, on n’est encore plus en colère quand nos enfants deviennent notre propre miroir…
C’est exactement ça, mais il y a autre chose, c’est terrible le fait que l’on puisse se projeter comme ça sur les autres. Je pense en l’occurrence à la jalousie ! Très souvent quelqu’un devient jaloux d’un seul coup parce qu’il reproche à l’autre tel ou tel truc, alors qu’en fait c’est très souvent l’inverse ! Parce qu’on se sent capable d’aller voir ailleurs, on le reproche à l’autre, on identifie l’autre comme nous même. Donc, il y a plein de choses comme ça, qui sont, j’allais dire « d’intérêt collectif », que moi, je m’efforce de travailler dans mes sketches. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe dans notre tête, à notre insu, des gestes auxquels on ne fait pas attention par exemple, qu’il faudrait donner aux acteurs quand ils interprètent des rôles, les micros gestes, j’ai du en faire plein là ! Le doigt qui se balade, les mains qui complètent la parole. On a besoin de structurer sa pensée par les gestes, alors que la parole devrait suffire. Normalement je devrais avoir un maintien (Il le mime) Oui, Non, répondre concisément aux questions, au lieu de ça, je bifurque. Tout ça c’est vraiment intéressant, alors voilà ce qui me passionne, c’est l’être humain !
- Et bien sur quel est le pire ?
Quand je m’a fait piqué par une guêpe sur une fesse. Ca fait très mal et ça m’a piqué. Non ! Alors, il y a eu 450 000 tentatives de sketches, de gags dans la rue. C’est chiffré par le directeur de production à 10 000 près. Y’en a eu environs 45 000 qui ont marchés. Y’en a eu quelques centaines de conservés pour des DVD, dont sur celui-ci, environs 700/650, je suis incapable de me souvenir. Ce n’est pas pour me défiler, mais il y a eu tellement de moments extraordinaires pour moi, que finalement je ne retiens que ceux là ! Honnêtement les pires je les oublies pour ne garder que les meilleurs. Je les oublies parce que dans la vie en général, ce qui est violent, les mauvaises réactions je les zappes assez vite parce que sinon c’est démobilisant.
- Avez-vous participé à l’élaboration du DVD ?
Oui, de A jusqu'à Z
- En travaillant comme cela sur 15 ans de sketches, en revisionnant une partie de votre vie pour en faire une compil, n’êtes vous pas tenté de vous laisser aller à la nostalgie, et donc de remettre ça ?
Oui et je vais remettre ça ! Je suis en tournage en ce moment et pour la première fois je vais utiliser des postiches, des perruques, pour faire le petit vieux, la petite vieille, le sado-maso, le chinois des tonnes de personnages comme ça, je me suis essayé pendant un mois et je vais retourner encore pendant un autre mois pour faire d’autres DVD.
- Pendant 15 ans, vous êtes passé tous les soirs sur Canal + et le plus extraordinaire, c’est que les gens ne vous reconnaissaient pas…
Parfois ils me reconnaissaient mais c’était trop tard pour eux, Paf, la connerie était faite. Sinon pour le reste, j’avais les cheveux un peu plus longs ou un peu plus courts, un costume, bleu ou rouge etc…Ca ça aide dans la rue, par rapport aux images qu’on a des gens. Et puis surtout on ne s’y attend pas, et ça va vite quand même !
- Le deuxième DVD comporte 1h30 d’inédits, vous souvenez vous des raisons qui avaient écarté ces gags de la diffusion ?
Ils n’ont pas été écarté de la diffusion, ils sont passé une fois très tard, ou alors très tôt le matin. Quand on parle d’inédits vidéos, on tient compte de l’heure de diffusion et en fait on se dit que pratiquement personne ne les a vu pratiquement ou alors tout le monde les a oublié. Donc ce sont des inédits Dvd, mais aussi des inédits certainement pour 99,99 % des gens. Mais ils n’avaient pas été écarté en réalité, mais c’est parce qu’on ne m’avait pas demandé de faire d’autres Dvd. Alors ils restaient comme ça à sommeiller. Alors je me suis dit puisque Canal veut faire un Best Of… moi j’en avais marre de faire des Dvd d’une heure, alors je me suis dit voilà il faut y aller !
- Une dernière question purement personnelle, vous faites des pubs pour de la viande. Dans l’une d’elle, vous entrez dans l’appartement d’une famille, le mari s’approche de vous, l’air menaçant, et la pub s’arrête là. Mr Lafesse, j’ai besoin de savoir, Comment cela s’est il terminé ?
(Il rit) Très bien, le monsieur a été payé comme tous les autres comédiens !