Au cours de l’édition 2005 du salon E3 Ken Kutaragi, qui tenait encore fermement les rênes de Sony Computer Entertainment, s’était exprimé ainsi : "La Playstation 3 - PS3 - sera rétrocompatible avec les jeux PS et PS2 dès sa sortie. ». Et il ajoutait : « J'attire l'attention sur ce sujet car d'après ce que j'ai pu entendre, certains constructeurs n'ont pas été capables d'atteindre complètement cet objectif. C'est coûteux en termes de matériel mais nous préférons investir dès maintenant dans la rétrocompatibilité plutôt que d'avoir des problèmes plus tard. "
Analyse ITRgames.com
Le temps a passé. Et le vaisseau apparemment indestructible de la Playstation a quelque peu tangué sur ses bases, suite notamment au retard de lancement de la Playstation 3… Ken Kutaragi a été remercié et – après des lancements délicats dans les territoires NTSC et au Japon – la version PAL de la Playstation 3 est dans les starting-blocks pour une sortie en Europe prévue le 23 mars. Et voilà qu’un simple communiqué de presse de SCEE a mis le feu aux esprits de quelques journalistes, core gamers, développeurs, … qui, à l’instar du mensuel Jeux Vidéo Magazine (Future) avaient déjà tendance à dire, et à écrire, qu’il ne fallait pas s’empresser d’acheter la nouvelle console HD de Sony dès sa sortie…
Pour quel(s) motif(s) ?
Afin principalement de réduire les coûts de fabrication, SCEE annonce dans ce communiqué transmis à l’ensemble de la presse européenne que la PS 3 PAL ne sera compatible qu'avec un nombre "limité" de titres PS2, sans préciser pour autant ni le nombre ni le pourcentage de titres compatibles. Le 23 mars prochain, la Playstation 3 qui sera distribuée un peu partout en Europe disposera de "nouvelles spécifications techniques" par rapport aux modèles déjà vendus au Japon et aux Etats-Unis. " La nouvelle console fera appel à « Une nouvelle solution mélangeant matériel et logiciel » afin de gérer la rétrocompatibilité avec les titres Playstation 1 et 2. Et le communiqué précise que ce mélange ne sera donc compatible, dans un premier temps, qu'avec "un nombre limité" de titres PS2, les jeux PSOne, étant eux plus largement supportés... »
Si Sony n’indique pas dans le dit communiqué, quelles sont les modifications exactes apportées à sa nouvelle console de salon, il semble bien - après vérification - qu’il s’agisse de la disparition du chip spécialisé EMotion Engine. En effet, sur les versions américaines et nippones des bidouilleurs avaient démontré la présence au cœur de la PS3 d’un ensemble EmotionEngine + GraphicsSynthesizer tout droit sorti de l’architecture de la Playstation 2. L’abandon de cet élément électronique majeur, au profit d’un simple émulateur logiciel, a pour conséquence une baisse substantielle du coût de fabrication du modèle PAL et, par voie de conséquence, une marge supérieure pour SCEE – aucune baisse de tarif n’ayant pour l’heure étant annoncée.
Autre motif invoqué par un représentant de chez SCEE, que nous avons contacté : « La rétrocompatibilité, les joueurs s’en moquent… Ce qu’ils veulent ce sont des jeux de qualité, à la hauteur du potentiel de la Playstation 3. Ca a déjà été le cas à l’époque du passage de la Playstation 1 à la Playstation 2. Et à vrai dire nos enquêtes auprès des consommateurs et des acheteurs potentiels de la PS3 nous ont démontré que la rétrocompatibilité n’était pas – et de loin – le principal critère d’achat de notre console. Je peux même vous dire qu’il arrive très loin dans le hit-parade des critères. ». Voilà qui confirme les propos tenus par David Wilson, Responsable des relations publiques de Sony Angleterre, qui a expliqué il y a quelques heures qu’à l’image de ce que Microsoft a mis sur pied pour la Xbox 360, SCEE a l'intention de faire appel à des mises à jour "régulières" du firmware via le « Playstation Network » afin d’ajouter des titres compatibles supplémentaires. Sans évoquer cette chose, notre interlocuteur nous a précisé : « Nous allons afficher dès le 23 mars, et si possible avant, à l’adresse http://faq.eu.playstation.com/bc la liste des titres compatibles parmi plus de 10 000 jeux disponibles sur PS2. Je peux même vous dire que nous les vérifions un par un, c’est vous dire l’effort entrepris … Mais pour moi, il ne fait aucun doute qu’à brève échéance l’immense majorité des titres passera. Seuls ceux conçus à la va-vite, sans appliquer à 100% la charte de développement édictée par Sony, se verront refouler par le système. Mais encore une fois, est-ce vraiment si fondamental ? Croyez-moi avec la qualité des premiers jeux disponibles et la disponibilité de plusieurs dizaines de titres vidéos HD au format Blu-Ray, les consommateurs ne seront pas déçus ! ».
Ces éléments de réponse viennent corroborer d’autres propos. Ceux tenus par David Reeves, président de Sony Computer Entertainment Europe, quand il a indiqué que "la PS3 est un système conçu avant tout pour des jeux exploitant spécifiquement la puissance et le potentiel de la machine. Plutôt que de se concentrer sur la rétrocompatibilité PS2, les ressources futures de la société vont être de plus en plus dédiées au développement de nouveaux jeux et de fonctionnalités supplémentaires pour la PS3, afin de tirer le meilleur parti de cette nouvelle et excitante technologie."
La fin et les moyens
Sous l’égide d’un nouveau PDG, Sony et sa filiale jeux électroniques ont entamé l’année 2007 sous le régime des économies. Comment comprendre cette information sans tenir compte de cet état de fait, maintes fois répété par la direction ? Notamment quand celle-ci a publié les derniers résultats financiers de la division jeux vidéo : 440 millions de dollars de pertes, et sans doute aux environs du milliard de pertes à la fin de l’année fiscale close au 31 mars…
Voilà qui, vis-à-vis des actionnaires inquiets pour la valeur de leur portefeuille, justifie un programme de réductions drastiques de dépenses. Programme inauguré – si on regarde un peu dans le rétroviseur - par l’annonce de l’abandon du modèle 20 Go et qui se poursuit donc aujourd’hui, en toute logique, par l'abandon de la solution de rétrocompatibilité la plus coûteuse (hardware). Et aussi – on l’a vu – pas forcément la plus nécessaire en Europe. Comme nous l’a dit notre contact chez SCEE, bien peu d’utilisateurs de la nouvelle console se sentiront réellement lésés par cette décision… En revanche, et une relative levée de boucliers en ligne tend à le montrer, cette décision n’est pas forcément bonne en termes d’image, à l’heure où la Xbox 360 suit son petit bonhomme de chemin en rencontrant un beau succès avec son service en ligne Xbox Live et où la Wii n’en finit pas d’étonner les spécialistes, parmi lesquels certains ne lui donner pas beaucoup de chances de concurrencer efficacement deux consoles plus « abouties » technologiquement parlant … N’oublions pas pour finir les équipes de développeurs – et notamment les plus petits d’entre eux – qui comptaient économiser en termes de coûts de développement, en s’appuyant sur la rétrocompatibilité PS2… Ils risquent au minimum de faire la grimace, voire purement et simplement d'abandonner leurs projets de développement dont le résultat final pourrait fonctionner en Asie et en Amérique, mais pas en Europe. Tout au moins dans l’immédiat.
On se console comme on peut …
L’annonce de SCEE intervient alors que le grief majeur qui lui est adressé reste celui du tarif pratiqué sur sa nouvelle console (et plus classiquement du côté des revendeurs sur la marge infime qui leur est redistribuée). Certes la PS3 fait aussi figure de lecteur HD Blu-Ray économique. Il apparaît cependant qu’à presque 600 euros TTC (si l’on ne tient pas compte des opérations de reprises menées ici et là), elle va au départ toucher les plus riches des joueurs ou les plus motivés… Et tout argument, même infime, susceptible d’avoir un impact sur cette motivation n’est pas bon à court terme pour les ventes (et/ou pour les préréservations) … Avec tout cela, nul doute que la perspective d’une rupture de stocks rapide de la console ne soit paradoxalement totalement à écarter (les exemples de la Xbox 360 puis de la Wii sont encore dans tous les esprits…). N’allez pas imaginer pour autant que l’argument tarifaire ait été évacué des réunions de décideurs de SCEE, quand ils ont décidé d’abandonner la rétrocompatibilité intégrale. Avec une réduction de coût qui pourrait atteindre 30$ par console, Sony se donne rapidement les moyens de baisser le prix public de sa console. Une carte maîtresse dans le jeu de SCEE, même si – à l’évidence - personne chez Sony ne se risquerait à évoquer publiquement une telle perspective avant le lancement du 23 mars…
Le problème des accessoires compatibles
Au-delà de la rétrocompatibilité des jeux, il semble bien que Sony ait aussi en filigrane quelques soucis à se faire avec certains accessoiristes ou fournisseurs de périphériques qui comptaient beaucoup sur le lancement en fanfare de la Playstation 3 pour dynamiser leur activité. Sony a en effet également indiqué, assez discrètement, que plusieurs « petits problèmes matériels » pourraient être rencontrés dans l’utilisation de périphériques. Notamment s’agissant de produits USB non siglés Sony, de cartes mémoire (SD Card, Memory Stick et Compact Flash) dont l’utilisation n’est pas garantie (Nintendo en avait fait de même avec sa Wii) de même que certains matériels audio DTS-HD 7.1 qui, connectés à la Playstation 3 pourrait ne fonctionner qu’en 5.1… Cela dit, comme avec Sony il n’y a jamais eu – et il n’y aura pas - d’estampille officielle accordée aux accessoiristes, la règle de conduite que se sont fixée les fabricants peut être résumée par « Wait and See »… Pourvu pour SCEE que cela ne soit pas aussi le mot d’ordre des consommateurs !