Après un Scènes de crimes très prometteur, Frédéric Schoendoerffer entraîne Vincent Cassel, Monica Belluci et André Dussolier dans les services secrets, vus par le trou de la serrure. Plutôt que l’action, c’est ici la préparation et le quotidien des agents secrets qui nous intéresse. Ou qui ne nous intéresse pas.

France, 2004
Réalisateur : Frédéric Schoendoerffer
Acteurs : Vincent Cassel, Monica Belluci, André Dussolier, Charles Berling, Bruno Todeschini, Najwa Nimri
Musique de : Bruno Coulais
Durée : 1h50

L’histoire
Agents de la DGSE, le capitaine Georges Brisseau et Lisa ont pour mission de faire sauter le navire d’un trafiquant d’armes, au Maroc. Préparation, choix des explosifs, des équipiers, couvertures, repérages. Mais le plus difficile se situe peut-être après la mission.


Imaginez. Vous êtes au restaurant. Vous commandez un steak-frites. Le serveur vous emmène en cuisine et vous présente le chef. Ce dernier vous emmène aux Halles pour vous montrer comment il choisit le morceau de viande qu'il va cuire. Sur le chemin du retour, vous vous arrêtez dans un champ pour déterrer quelques pommes de terre. De retour en cuisine, le chef vous explique avec quel couteau il pèle les patates, puis avec quel couteau (mais pas le même) il découpe les frites. Après un speech de 4 minutes sur l'huile qui donne les meilleures frites, il les met enfin à cuire. Pendant ce temps, il vous explique quelles réactions physiques entrent en jeu pour cuire la viande sur son gril, et vous raconte comment sa grand-mère lui a fait découvrir les épices qu'il met pour la cuisson. Enfin, le steak est cuit et les frites dorées. Vous mangez une bouchée de viande et deux frites, et le chef retire l'assiette et vous demande ce que vous voulez pour dessert.
Et on n'est qu'à la moitié du film, pardon, du repas. Ah oui, j'établis un subtil parallèle entre le film et cette histoire de restaurant, une métaphore comme qui dirait. Passons rapidement sur une fin de repas à peine plus savoureuse. Pendant qu'il va chercher les fraises dans le jardin pour décorer votre gâteau, le chef vous laisse manger un centimètre carré d'emmental. Puis, pendant que le gâteau cuit dans le four et qu'il remue la crème pour le recouvrir, vous avez droit à un demi petit four. Et à vrai dire, je ne sais pas trop où passe le gâteau. Voilà, Agents secrets, c'est un peu ça, en remplaçant les moments où vous mangez par de l'action, et les préparatifs par les préparatifs de l'action.


Entendons-nous bien : loin de moi l'idée de ne réclamer que de l'action. On a bien compris que Schoenderffer se plaçait à échelle humaine, et voulait nous plonger dans le quotidien des agents secrets, qui ne requiert pas des cascades tous les jours. Dans Mission impossible (la série, pas le film), la préparation avait autant d'intérêt que l'action elle-même. Parce que la préparation posait des énigmes que le dénouement éclairait. Ici, pas d'énigme, pas de surprise, pas de retournement de situation (ou si peu). On a droit à la check-list de la minutieuse préparation d'un attentat par les services secrets. A tel point qu'on se demande comment Lisa a pu oublier l'alliance nécessaire à son personnage (et on se demande aussi comment cette alliance se trouve finalement à son doigt plus tard...). Au début, c'est plutôt original et intéressant. Ils font des recherches, choisissent le matériel, préparent leur identité, changent de voiture, nagent et nagent encore, et c'est fini. Le résultat de l'attentat sera hors caméra. Ce qui nous donne une première heure sans une once d'action (à part un peu au tout début, dans une scène qu'on a bien du mal à relier au reste).


Si la deuxième moitié est un peu moins mécanique, elle est encore plus ennuyeuse, notamment parce qu'on est moins indulgent au bout d'une heure. Et le film finit de se dérouler avec quelques morceaux d'action très courts, des gens qui se rencontrent, parlent, puis en rencontrent d'autres et parlent encore. Les personnages sont en plus assez peu définis et ont assez peu de personnalité, genre espion qui obéit aux ordres mais a tout de même un coeur et des sentiments, enfouis quelque part mais qui vont bientôt surgir. Les acteurs ne sont pas mauvais, mais ont bien du mal à les faire exister. Ce qui fait que c'est pas vraiment qu'on ne s'intéresse pas à ce qui leur arrive, mais... si, en fait, c'est qu'on ne s'intéresse pas à ce qui leur arrive. N'oublions pas de préciser que le scénario, assez court dans son résumé vu sa dilution, ne correspond pas du tout à ce que la bande-annonce laissait entrevoir (la question du " piège " de Lisa prend maximum 10 minutes, et Georges ne fait pas grand chose pour la sauver, non, rien à voir avec un James Bond).
La réalisation aligne quelques plans réussis, mais insiste en général assez lourdement sur les détails, comme pour montrer au spectateur ce qu'il faut regarder. Et ne ratez pas le plan où l'éclairage sur un visage est tellement rasant (venant du plafond) et fort que le nez du mec fait une ombre noire qui dépasse de son menton ; si, représentez-vous l'image, vous comprendrez. La musique, pourtant signée Bruno Coulais, ne se fait pas remarquer. On commence donc par une curiosité sur l'aspect montré, puis un peu d'impatience devant la lenteur du scénario, de l'agacement au milieu sur l'aboutissement hors image de tout ce que tout le monde faisait pendant la première heure. Puis on attend sagement que ça se termine, pendant que l'histoire devient de plus en plus hétéroclite, sans même plus espérer que l'intérêt refasse surface. On a vu plus honteux, mais on a vu bien mieux.


A voir : pour un film minutieux de non-action
Le score presque objectif : 5,5/10
Mon conseil perso (de -3 à +3) : -2, on s'ennuie, quand même

Sébastien Keromen